LE FLUX ET LE REFLUX | ||
Il
faut le voir pour y croire. Et encore, ne voit-on rien, puisque ce qu’il
y a à voir est défini comme invisible.
Bien sûr, je ne parle pas des joutes oratoires au ras des pâquerettes auxquelles se livrent nos candidats ou, du moins, la plupart d’entre eux, ni des échanges d’accusations et d’injures où le paranoïa le dispute à la mégalomanie, la prétention à la sottise, l’irresponsabilité à la complicité, l’arrogance à l’effronterie, l’indécence à l’obscénité. Je ne parle pas non plus de cette foire grotesque aux portraits qui fait de notre environnement un cauchemar kafkaïen, ni des Tontons Macoutes et autres Chiens de Baskerville qui sèment partout anarchie, vandalisme et terreur. Cela, hélas! on ne le voit que trop et tout porte à croire que le meilleur reste à voir. Ce qui est indépistable, par contre, c’est le système politique sous lequel nous vivons. Le premier manuel de Sciences politiques nous apprend que le monde est régi par différents systèmes de gouvernement: la DÉMOCRATIE: pouvoir exercé par le peuple; l’OLIGARCHIE: pouvoir exercé par quelques puissantes familles; l’AUTOCRATIE: système politique dominé par un roi absolu de droit divin; la POLYSYNODIE: système où chaque ministre est remplacé par un Conseil; la PLOUTOCRATIE: où le pouvoir appartient aux riches; la THÉOCRATIE: pouvoir exercé par des dirigeants religieux; la GÉRONTOCRATIE: pouvoir exercé par des vieillards; la GYNÉCOCRATIE: pouvoir exercé par les femmes. Sans parler des différentes formes de dictatures et des pouvoirs claniques, tribals, ethniques et autres. Et le nôtre de système, à quelle catégorie appartient-il? En un mot comme en cent, tout ça, pour nous autres au Liban, est démodé, dépassé, caduc, sans la moindre originalité. Pour les héritiers des inventeurs de l’alphabet, nous avions, non pas à suivre comme des moutons de Panurge, mais à innover et nous l’avons fait avec un brio tel qu’il a dépassé les sciences politiques pour atteindre aux sciences occultes, puisque nous avons inventé la FANTOMOCRATIE, système où le pouvoir est exercé (comme son nom l’indique) par des fantômes, derrière un gouvernement qui leur sert d’écran de fumée. Chaque fois qu’un acte, qu’une mesure, qu’une initiative sont entrepris hors du cadre de la loi, en violation des règlements, de la justice, des droits de l’homme, faisant fi des institutions et du prétendu Etat de Droit, on raconte que personne n’est responsable, que personne n’est au courant, qu’une enquête va être ouverte (qui ne l’est jamais) et que les auteurs de tels méfaits, boulettes, délits ou crétineries sont inconnus, voire inexistants. Les gens parlent communément “des services”. Quels services? Personne ne nomme personne. On ne parle même plus des décideurs, surtout depuis que les décideurs, raconte-t-on, nous ont laissé, en politique strictement intérieure, la bride sur le cou. Et du coup, nous avons pris - ou du moins nos fantômes ont pris - le mors aux dents. Tant et si bien que nous avons passé de la manipulation à la triche, de la menace à l’intimidation, de l’injure à la violence, avec à la clé de prétendues élections qui promettent de figurer dans le Livre des Records comme les pires que nous ayons connues. Et Dieu sait si nous avons connu des vertes et des pas mûres! Actuellement, les têtes de turc de nos fantômes tutélaires sont les types de l’ancien régime, plus particulièrement, le président Hariri, promu au rang de superstar des médias officiels. A part avoir cassé le vase de Soissons, cannibalisé Lumumba et pillé les trésors de Golconde, ils lui attribuent tous les forfaits et ils agissent à son égard en conséquence. Notre propos, ici, n’est pas de défendre Hariri, ni de justifier la politique qu’il a pratiquée, mais de tirer une leçon de son passage au pouvoir, pour dire que la politique de l’arbitraire, du viol de la loi et des institutions, de la vindicte et des représailles n’est pas payante. Quand Hariri détenait le pouvoir, il a fait des élections en 96 qui sentaient le soufre, envoyant au parlement un bon paquet d’élus qui ne l’étaient pas et une majorité d’échines souples dans lesquelles aucun Libanais ne s’est jamais reconnu. Aujourd’hui, Hariri fait l’amère expérience de la condition d’opposant au Liban et découvre, du même coup, que personne ne peut demeurer éternellement au pouvoir. Viendra un jour où nos fantômes actuels se tiendront à la place où se tient aujourd’hui Hariri. Ont-ils fait le compte des représailles qu’ils auront à subir? Qui sait si les décideurs seront encore là pour les couvrir. Et à supposer qu’ils soient toujours là, qui sait encore, si, entre-temps, ils n’auraient pas changé leur fusil d’épaule. Henry Kissinger, ce maître de la “realpolitik”, disait qu’il n’existe pas des amitiés éternelles, ni des inimitiés éternelles, qu’il n’y a que des intérêts permanents. Un autre phénomène permanent auquel il convient de songer, celui de la nature qui veut qu’après le flux vient toujours le reflux. Et ça, contrairement aux élections, ça ne rate pas. |
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