PHILIPPINES
LES OTAGES DE JOLO: UNE SI CHÈRE LIBERTÉ!
MARIE MOARBÈS, HÉROÏNE MALGRÉ ELLE

Depuis le 23 avril, l’attente aura été interminable et le cauchemar de la captivité dans la jungle de l’île de Jolo à 960 kilomètres au sud des Philippines, inscrit dans la lutte pour la survie sous le glaive tranchant du groupe Abu Sayyaf. Entre ciel et terre, les 21 vacanciers de l’île de Sipadan en Malaisie, paradis de la plongée sous-marine, dont le destin a basculé dans une condition d’otages au sud des Philippines, ont appris, au jour le jour, ce qu’était la liberté et qu’elle pouvait avoir un prix exorbitant. Ils l’ont d’abord payé eux-mêmes par leurs souffrances physiques et morales. Puis, d’autres ont réglé la lourde facture de leur libération.


Marie Moarbès écrivant une lettre à ses parents dans sa captivité.

Ce prix, c’est tout d’abord et quoiqu’elles s’en défendent, la Malaisie qui l’a payé en libérant ses ressortissants; puis, l’Allemagne en ramenant dans son pays Renate Wallert qui souffrait d’hypertension et de problèmes cardiaques. Au bout d’un long calvaire sur fond de tractations, marchandages, bruits de bottes, chassés-croisés de personnalités et négociateurs, c’est finalement la Libye, implantée depuis bien longtemps dans l’archipel qui a endossé le beau rôle comme dans une tragédie antique, mais heureusement sans effusion de sang. La personnalité de Mouammar Kadhafi s’y prêtait. Il en avait le goût et les moyens et éprouvait le besoin d’une sensationnelle réhabilitation internationale.
Certes, son ancien ambassadeur aux Philippines, Rajab Azzarouk avait servi de négociateur dès le début de la prise d’otages, mais celui-ci n’a réellement pesé de son poids que dans le cadre d’un scénario grandiose où Seif al-Islam, l’un des fils de Kadhafi, qui dirige une organisation caritative (dont le représentant Mohamad Ismaïl s’est rendu à Jolo en compagnie d’Azzarouk), a offert des fonds de l’ordre de 25 millions de dollars qui seraient apparemment investis dans des projets de développement sur l’île de Jolo, par le truchement du gouvernement philippin représenté en la personne du négociateur en chef, Roberto Aventajado.
Le grand spectacle qui sied si bien à la personnalité de Kadhafi a été réglé entre Tripoli, Jolo et Manille où un Iliouchine libyen s’était posé pour ramener les otages chez eux en passant par la capitale libyenne. Là, Kadhafi en personne allait les recevoir en présence de leurs proches, des ministres de leurs pays et d’une nuée de journalistes tous conduits en Libye aux frais de ce bouillant colonel tenant subitement un rôle planétaire dont il rêvait tant.
 

La détresse dans le regard de Marie 
Moarbès sous la surveillance de ses geôliers.

Le gâteau d’anniversaire destiné à Marie 
Moarbès par les membres de sa famille.

Une délégation libanaise conduite par M. Sleiman Traboulsi, ministre des Ressources hydrauliques et électriques et comprenant la mère et la tante de Marie Michel Moarbès, ainsi que des représentants des médias, était déjà sur place dès mardi. Elle était rejointe par les délégations française, allemande, finlandaise, sud-africaine, etc... attendant de récupérer leurs seize otages (une otage philippine avait été libérée auparavant) parmi lesquels incontestablement Marie Moarbès, 33 ans, (qui a obtenu la nationalité française lors de sa captivité) avait tenu le rôle d’un ange gardien. Ayant toujours le moral, elle avait laissé dans les mémoires des images émouvantes. C’était elle qui, forte de ses notions de secourisme, se penchait sur l’Allemande Renate Wallert étendue sur un brancard de fortune et qui, à l’aide d’un éventail de branchages, l’aidait à respirer. C’était elle qui accourait chaque fois que quelqu’un avait besoin d’elle. C’était elle, aussi, qui plaidait la cause des otages devant les caméras. Son père se trouvait à Manille dès le début de sa captivité et tentait de la réconforter à distance. Vivement le retour au sein de sa famille!
Mais passage obligé par la Libye.
 

M. Sleiman Traboulsi recevant un 
pigeon à son arrivée à Tripoli.

Première otage du groupe des dix-sept 
libérée, la Philippine Lucrecia Dablo, 
félicitée par le négociateur philippin en 
chef Roberto Aventajado (2ème à gauche) 
et les négociateurs libyens Rajab Azzarouk 
(2ème à droite) et Farouk Hussein.

Ce n’est pas par hasard que la Libye qui réclame, d’ores et déjà, à la France un prix politique et un nouveau rôle dans "le jeu diplomatique", a réussi cette libération. Elle se trouve déjà présente depuis longtemps au sud de l’archipel. Elle est soupçonnée de soutenir, financer et former les rebelles islamiques. En 1976, les accords de Tripoli avaient été conclus sous son égide. Ils permettaient, au gouvernement philippin et au MNLF (Front national de libération moro) de mettre fin au terme de laborieuses négociations, à de violents combats et de signer une paix annonçant l’autonomie des treize provinces dans la région musulmane de Mindanao. Car sur les 73 millions d’habitants aux Philippines majoritairement catholiques, les 4 millions de musulmans ont toujours rêvé de créer leur propre Etat, d’y instaurer la charia et d’en chasser les chrétiens.
 

Le colonel philippin, chef du groupe 
anti-crime, exhibant les photos du 
groupe Abu Sayyaf.

Sarwath Moarbès, mère de Marie, 
attendant à Tripoli le retour de sa fille.

Dans ce chapelet d’îles et d’archipels du sud des Philippines, les pirates, les preneurs d’otages, les miliciens, les hors-la-loi, les armes circulent librement, déjouant la faible surveillance des pays limitrophes. L’instabilité chronique remonte déjà au XVIème siècle et est signalée dès l’arrivée des Espagnols qui ont contenu la progression des musulmans en Asie. Ceux-ci accueillaient mal le reflux sur leurs terres, par vagues successives, des chrétiens du Nord (encouragées deux siècles plus tard par les Américains à l’influence prédominante de 1898 à 1946) et la politique discriminatoire pratiquée à leur égard par le président Marcos. Des affrontements régionaux à coloration religieuse allaient désormais les y opposer. Les uns et les autres se sont armés pour marquer leur territoire. Et c’est dans cette atmosphère glauque qu’a pris naissance, dans les années soixante-dix, le MNLF (Front national de libération moro, moro étant le nom donné par les Espagnols aux musulmans). Un groupe dissident allait prendre l’avantage sur ce dernier dans les années quatre-vingt, le MILF (Front islamique de libération moro) avec 10.000 à 15.000 combattants. Celui-ci allait être à nouveau débordé, au début des années quatre-vingt-dix, par une poignée d’islamistes formés au Pakistan et en Afghanistan, se plaçant dans la mouvance de Ben Laden, le groupe Abu Sayyaf réunissant quelques centaines de partisans.
C’est donc ce groupe qui, depuis le 23 avril, a réussi une médiatisation universelle en embarquant pêle-mêle 21 touristes sur l’île malaisienne de Sipadan vers l’île philippine de Jolo et en maintenant la tension sur l’archipel. Il réclamait, au départ, la libération de trois militants islamistes emprisonnés aux Etats-Unis dont le Pakistanais Ramzi Youssef, auteur présumé de l’attentat contre le World Trade Center à New York en février 1993. Puis, il a diversifié ses revendications pour s’arrêter au stade du banditisme pur et simple pratiqué au nom de la religion et déversant sur Jolo des millions de dollars qui ont circulé subitement avec les armes, disponibles à souhait. Il réclamait 1 million de dollars par tête d’otage et ses souhaits ont été exaucés au-delà de toute espérance. L’armée philippine, neutralisée pour préserver la vie des otages, se tenait tout près de leurs campements mobiles en attendant de les prendre d’assaut. Elle s’y trouve toujours. Et ce sont des mouvements de troupes qui ont retardé en dernière minute la libération de ces otages, impatiemment attendus à Tripoli.
Les guérilleros qui ont terrorisé si durement leurs otages resteront-ils impunis? Il serait injuste qu’ils retrouvent à leur tour la liberté.


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