Marie Moarbès écrivant une lettre à
ses parents dans sa captivité.
Ce prix, c’est tout d’abord et quoiqu’elles s’en défendent, la
Malaisie qui l’a payé en libérant ses ressortissants; puis,
l’Allemagne en ramenant dans son pays Renate Wallert qui souffrait d’hypertension
et de problèmes cardiaques. Au bout d’un long calvaire sur fond
de tractations, marchandages, bruits de bottes, chassés-croisés
de personnalités et négociateurs, c’est finalement la Libye,
implantée depuis bien longtemps dans l’archipel qui a endossé
le beau rôle comme dans une tragédie antique, mais heureusement
sans effusion de sang. La personnalité de Mouammar Kadhafi s’y prêtait.
Il en avait le goût et les moyens et éprouvait le besoin d’une
sensationnelle réhabilitation internationale.
Certes, son ancien ambassadeur aux Philippines, Rajab Azzarouk avait
servi de négociateur dès le début de la prise d’otages,
mais celui-ci n’a réellement pesé de son poids que dans le
cadre d’un scénario grandiose où Seif al-Islam, l’un des
fils de Kadhafi, qui dirige une organisation caritative (dont le représentant
Mohamad Ismaïl s’est rendu à Jolo en compagnie d’Azzarouk),
a offert des fonds de l’ordre de 25 millions de dollars qui seraient apparemment
investis dans des projets de développement sur l’île de Jolo,
par le truchement du gouvernement philippin représenté en
la personne du négociateur en chef, Roberto Aventajado.
Le grand spectacle qui sied si bien à la personnalité
de Kadhafi a été réglé entre Tripoli, Jolo
et Manille où un Iliouchine libyen s’était posé pour
ramener les otages chez eux en passant par la capitale libyenne. Là,
Kadhafi en personne allait les recevoir en présence de leurs proches,
des ministres de leurs pays et d’une nuée de journalistes tous conduits
en Libye aux frais de ce bouillant colonel tenant subitement un rôle
planétaire dont il rêvait tant.
![]() La détresse dans le regard de Marie Moarbès sous la surveillance de ses geôliers. |
![]() Le gâteau d’anniversaire destiné à Marie Moarbès par les membres de sa famille. |
Une délégation libanaise conduite par M. Sleiman Traboulsi,
ministre des Ressources hydrauliques et électriques et comprenant
la mère et la tante de Marie Michel Moarbès, ainsi que des
représentants des médias, était déjà
sur place dès mardi. Elle était rejointe par les délégations
française, allemande, finlandaise, sud-africaine, etc... attendant
de récupérer leurs seize otages (une otage philippine avait
été libérée auparavant) parmi lesquels incontestablement
Marie Moarbès, 33 ans, (qui a obtenu la nationalité française
lors de sa captivité) avait tenu le rôle d’un ange gardien.
Ayant toujours le moral, elle avait laissé dans les mémoires
des images émouvantes. C’était elle qui, forte de ses notions
de secourisme, se penchait sur l’Allemande Renate Wallert étendue
sur un brancard de fortune et qui, à l’aide d’un éventail
de branchages, l’aidait à respirer. C’était elle qui accourait
chaque fois que quelqu’un avait besoin d’elle. C’était elle, aussi,
qui plaidait la cause des otages devant les caméras. Son père
se trouvait à Manille dès le début de sa captivité
et tentait de la réconforter à distance. Vivement le retour
au sein de sa famille!
Mais passage obligé par la Libye.
![]() M. Sleiman Traboulsi recevant un pigeon à son arrivée à Tripoli. |
![]() Première otage du groupe des dix-sept libérée, la Philippine Lucrecia Dablo, félicitée par le négociateur philippin en chef Roberto Aventajado (2ème à gauche) et les négociateurs libyens Rajab Azzarouk (2ème à droite) et Farouk Hussein. |
Ce n’est pas par hasard que la Libye qui réclame, d’ores et déjà,
à la France un prix politique et un nouveau rôle dans "le
jeu diplomatique", a réussi cette libération. Elle se trouve
déjà présente depuis longtemps au sud de l’archipel.
Elle est soupçonnée de soutenir, financer et former les rebelles
islamiques. En 1976, les accords de Tripoli avaient été conclus
sous son égide. Ils permettaient, au gouvernement philippin et au
MNLF (Front national de libération moro) de mettre fin au terme
de laborieuses négociations, à de violents combats et de
signer une paix annonçant l’autonomie des treize provinces dans
la région musulmane de Mindanao. Car sur les 73 millions d’habitants
aux Philippines majoritairement catholiques, les 4 millions de musulmans
ont toujours rêvé de créer leur propre Etat, d’y instaurer
la charia et d’en chasser les chrétiens.
![]() Le colonel philippin, chef du groupe anti-crime, exhibant les photos du groupe Abu Sayyaf. |
![]() Sarwath Moarbès, mère de Marie, attendant à Tripoli le retour de sa fille. |
Dans ce chapelet d’îles et d’archipels du sud des Philippines,
les pirates, les preneurs d’otages, les miliciens, les hors-la-loi, les
armes circulent librement, déjouant la faible surveillance des pays
limitrophes. L’instabilité chronique remonte déjà
au XVIème siècle et est signalée dès l’arrivée
des Espagnols qui ont contenu la progression des musulmans en Asie. Ceux-ci
accueillaient mal le reflux sur leurs terres, par vagues successives, des
chrétiens du Nord (encouragées deux siècles plus tard
par les Américains à l’influence prédominante de 1898
à 1946) et la politique discriminatoire pratiquée à
leur égard par le président Marcos. Des affrontements régionaux
à coloration religieuse allaient désormais les y opposer.
Les uns et les autres se sont armés pour marquer leur territoire.
Et c’est dans cette atmosphère glauque qu’a pris naissance, dans
les années soixante-dix, le MNLF (Front national de libération
moro, moro étant le nom donné par les Espagnols aux musulmans).
Un groupe dissident allait prendre l’avantage sur ce dernier dans les années
quatre-vingt, le MILF (Front islamique de libération moro) avec
10.000 à 15.000 combattants. Celui-ci allait être à
nouveau débordé, au début des années quatre-vingt-dix,
par une poignée d’islamistes formés au Pakistan et en Afghanistan,
se plaçant dans la mouvance de Ben Laden, le groupe Abu Sayyaf réunissant
quelques centaines de partisans.
C’est donc ce groupe qui, depuis le 23 avril, a réussi une médiatisation
universelle en embarquant pêle-mêle 21 touristes sur l’île
malaisienne de Sipadan vers l’île philippine de Jolo et en maintenant
la tension sur l’archipel. Il réclamait, au départ, la libération
de trois militants islamistes emprisonnés aux Etats-Unis dont le
Pakistanais Ramzi Youssef, auteur présumé de l’attentat contre
le World Trade Center à New York en février 1993. Puis, il
a diversifié ses revendications pour s’arrêter au stade du
banditisme pur et simple pratiqué au nom de la religion et déversant
sur Jolo des millions de dollars qui ont circulé subitement avec
les armes, disponibles à souhait. Il réclamait 1 million
de dollars par tête d’otage et ses souhaits ont été
exaucés au-delà de toute espérance. L’armée
philippine, neutralisée pour préserver la vie des otages,
se tenait tout près de leurs campements mobiles en attendant de
les prendre d’assaut. Elle s’y trouve toujours. Et ce sont des mouvements
de troupes qui ont retardé en dernière minute la libération
de ces otages, impatiemment attendus à Tripoli.
Les guérilleros qui ont terrorisé si durement leurs otages
resteront-ils impunis? Il serait injuste qu’ils retrouvent à leur
tour la liberté.