La
République serait-elle à vendre? Le Pouvoir est-il un objet
de trafic? La campagne électorale en cours nous apporte, sinon des
motifs d’espoir, du moins des sujets de réflexion inattendus. Ainsi,
en est-il des réactions de M. Salim Hoss aux agissements de ses
adversaires et de sa dénonciation répétée de
l’usage de l’argent.
On sait que le gouvernement qu’il préside n’a pas réussi
à faire passer une loi pour le contrôle des dépenses
électorales et le plafonnement de ces dépenses. C’était
déjà un signe: messieurs les députés n’entendaient
pas se priver ni d’un moyen d’action sur les électeurs, ni d’une
importante source de revenus à la faveur de la formation des listes
de candidats.
Et c’est ainsi que, maintenant, M. Salim Hoss a beau jeu d’accuser
ses adversaires de lui opposer une “montagne d’argent”. Cela le met, on
le conçoit, dans une position particulièrement incommode.
Escalader ce genre de “montagne” n’est pas donné à tout le
monde.
Sous la troisième République, en France, on dénonçait
le “mur de l’argent”. En Angleterre, mère des démocraties,
il y avait, jadis, les “bourgs pourris”. Mais ceci est une autre histoire.
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Le problème se pose, dit-on, dans les termes suivants:
Il y a, d’abord, les sollicitations dont les électeurs sont
l’objet. L’usage de l’argent dans ce cadre-là et à ce niveau,
est hélas! coutumier. M. Hoss avait pu déjà, en 1996,
en mesurer l’étendue.
Mais il y a plus, c’est nouveau et c’est encore plus grave: il s’agirait
d’un véritable achat des candidatures. Il ne s’agit plus, désormais,
pour le candidat de payer sa place sur une liste, afin de participer aux
frais de la campagne. C’est maintenant le chef de liste, dont les moyens
financiers sont tels qu’il peut assumer à lui seul tous les frais
de la campagne. Il a, seulement, besoin de racoler les candidats qu’il
juge bons pour figurer sur sa liste, parce qu’ils disposent d’une bonne
surface électorale. Il leur offre en somme une prime pour se rallier
à lui. En termes clairs, il les achète. Et, à partir
du moment où il pourrait, par ces moyens, se constituer dans plusieurs
circonscriptions des listes entièrement à sa dévotion,
ce personnage bien nanti peut espérer arriver à la Chambre
à la tête d’un véritable parti (un parti de mercenaires,
en fait) susceptible de lui garantir son accession à la tête
du gouvernement.
Il aura ainsi littéralement acheté le Pouvoir. La République
devient sa chose.
C’est, semble-t-il, ce que redoute M. Hoss quand il dénonce
une “montagne d’argent”.
Ce serait une nouvelle forme de féodalité infiniment
plus perverse que la féodalité traditionnelle, dont il subsiste
encore des traces dans certaines régions, mais dont la surface territoriale
est limitée.
Dans le système de la féodalité tradition-nelle,
le chef de liste dispose, personnellement, du fait de la position historique
de sa famille, de la majorité du corps électoral de sa région.
C’est pourquoi, pour figurer sur sa liste, il faut payer sa place. Maintenant,
on voit se constituer une féodalité qui ne repose que sur
la fortune. Elle n’a aucune racine familiale, territoriale ou historique.
Elle se fonde sur le principe que tout se vend et tout s’achète.
La conscience de l’électeur comme la conscience du futur député.
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En est-il vraiment ainsi?
La dénonciation de cette corruption du système démocratique
n’émane pas de n’importe qui. C’est le chef du gouvernement des
élections qui lance lui-même ce véritable cri d’alarme.
Mais qui est disposé à l’entendre? L’électeur
pour qui la période électorale apparaît comme une manne
en ces temps d’austérité et de chômage? Ou le candidat
qui n’entend pas sacrifier ses chances d’arriver en s’encombrant de scrupules
moraux?
Le système est rongé par l’argent. On ne se trouve pas
devant une “montagne”, mais d’un ver insidieux qui corrompt une vie publique
dominée par l’esprit de lucre, un ver qui échappe à
tout contrôle au nom d’une conception dévoyée de l’exercice
des libertés démocratiques.
Dans d’autres pays, ce dévoiement a abouti à un coup
de balai où la République a sombré pour laisser la
place à des dictatures qui se voulaient pures et dures.
Croyez-vous que nous soyons à l’abri de ce genre de cycle infernal?
Peut-être bien par une grâce très spéciale du
ciel? Ne se gargarise-t-on pas toujours du “miracle libanais”?... |
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