Un besoin de renouveau pour
accompagner l’évolution sociale et économique.
La laïcité est un objectif souhaitable, mais sa réalisation
est lointaine, sinon impossible dans les circonstances actuelles. Quant
à se cantonner dans la suppression du confessionnalisme politique,
c’est un leurre qui entraînerait des injustices intolérables.
La seule voie possible pour aboutir à une représentation
sincère, réside dans un système de vote uninominal
par circonscriptions adéquates qui assurerait plusieurs objectifs.
I - LE SYSTÈME ÉLECTORAL PARLEMENTAIRE
ACTUEL
L’accord de Taëf a repris, en matière parlementaire, le
système électoral qui était en vigueur au temps du
Mandat, c’est-à-dire l’adoption du mohafazat (département)
comme circonscription électorale et le scrutin de liste.
Cette loi promulguée par la puissance mandataire, l’a été
pour des raisons déterminées que nous examinerons ci-après;
les décideurs de Taëf l’ont saisie et adoptée dans des
buts bien précis.
Cette loi est la copie conforme de la loi électorale française
du 16-17 juin 1885 qui n’a vécu que “ce que vivent les roses”, l’espace
d’une législature, puisqu’une loi du 13-14 février 1889 devait
l’abolir et rétablir le scrutin uninominal par arrondissement.
Le rapport au Sénat concernant la loi de 1885 nous éclaire
sur la valeur respective du scrutin de liste par département et
du scrutin uninominal par arrondissement.
“L’élection d’arrondissement, disait-il, (M. Dufaure) est favorable
aux influences permanentes de la société. Elle leur fait
une juste part dans la représentation, qu’elle rend plus complète
et plus vraie. Elle sert le suffrage universel en l’éclairant davantage
sur ses choix. La volonté des électeurs est plus libre, leur
choix est plus spontané et il se forme entre eux et leurs élus
un lien plus étroit, plus intime. Le plus souvent, ils sont connus
dès longtemps et ils ne deviendront pas étrangers les uns
aux autres après l’expiration du mandat.
Les détracteurs du scrutin uninominal, après avoir avancé
certaines critiques, notamment que ce mode de scrutin privilégie
les intérêts de l’électeur sur celui de la nation,
alors que le scrutin de liste assure au député une plus grande
indépendance, finissent par avancer l’argument majeur qui devait
entraîner l’adhésion du Sénat à savoir: l’écartement
des adversaires de la République.
“Votre commission s’est souvenue que les adversaires du scrutin de
liste se sont principalement recrutés parmi les adversaires de la
République. Elle compte sur le rétablissement de ce scrutin
pour voir succéder la large lutte des idées à la lutte
étroite des personnes, pour voir diminuer la sujétion de
l’élu vis-à-vis de l’électeur; elle y compte pour
parvenir à une composition plus homogène des partis parlementaires;
elle y compte, enfin, pour assurer dans une plus large mesure l’indépendance
réciproque de la Chambre et du gouvernement” (Rapport au Sénat).
Ce souci d’écarter les adversaires de la République ressort,
également, du rapport au Sénat à l’occasion du vote
de la loi du 13-14 février 1889 qui a rétabli le vote uninominal
par arrondissement.
“L’expérience du scrutin de liste tentée en 1885 n’a
pas produit les résultats espérés. Aussi, ne faut-il
pas s’étonner que l’expérience du scrutin de liste tentée
en 1885, n’ait pas réussi autant qu’il était permis de l’espérer.
Sur un grand nombre de points, les Républicains se sont divisés;
ailleurs, le groupement de plusieurs noms sur une même liste n’a
été qu’une concentration factice qui rapprochait momentanément
les personnes, mais n’exprimait ni idées ni politique communes,
de sorte qu’on obtenait l’unité de liste, sans réaliser l’unité
de programme.
“Cependant, le parti républicain doit-il, malgré les
déceptions de cette première expérience, tenter un
essai nouveau et conserver comme arme l’instrument politique dont il a
fait usage en 1885? Les circonstances seraient-elles aujourd’hui plus favorables?
Nous ne le pensons pas. Il n’est douteux pour personne qu’aux élections
prochaines, le pays se trouvera en présence de l’équivoque
la plus redoutable. Ce n’est pas en disant qui ils sont, ni ce qu’ils veulent
et en découvrant leurs visées, que les plus dangereux ennemis
de nos institutions marcheront au scrutin; ils auront soin de dissimuler
leurs drapeaux et leurs programmes et ne reculeront pas devant des déclarations
faussement républicaines pour parvenir à leurs fins”.
SCRUTIN UNINOMINAL
ET REPRÉSENTATION RÉELLE
On tire de ces rapports au moins trois conclusions:
1- Que le scrutin uninominal conduit à une représentation
réelle.
2- Que le scrutin de liste a été adopté pour écarter
les ennemis de la République.
3- Que le scrutin de liste assemble des personnes de différentes
tendances qui ne se réunissent que pour leurs intérêts
électoraux.
On est étonné de constater combien les rapports précités
s’appliquent à notre crise électorale actuelle.
Les autorités françaises du Mandat qui connaissaient
mieux que quiconque l’Histoire et les institutions de leur pays, ont doté
le Liban du scrutin qui fut le leur par la loi de 1885, c’est-à-dire
le scrutin de liste et par mohafazat (département) pour pouvoir
écarter les indésirables.
Les décideurs de Taëf ont imposé ce même système
électoral pour le parlement et l’ont revêtu de la répartition
égale, mais provisoire, entre chrétiens et musulmans.
LES DÉPUTÉS CHRÉTIENS
“OTAGES” DE L’ÉLECTORAT MUSULMAN
Nous connaissons déjà les résultats de cette loi
électorale; dans quatre mohafazats sur cinq, les députés
chrétiens sont à la merci, sinon les otages, de l’électorat
islamique et de ses leaders et ont perdu la liberté de leur opinion.
Les communautés chrétiennes perdent, ainsi, du fait des institutions
étatiques, le droit à la représentation réelle.
Les conséquences seraient pires en cas d’adoption du projet
qui fait du Liban une circonscription unique.
Le Liban n’a pas de partis politiques non confessionnels capables de
former des listes électorales. Ces dernières sont formées
par des personnes physiques jouissant d’une clientèle électorale
qu’ils peuvent diriger vers d’autres candidats.
Ces personnes se réunissent pour les besoins électoraux
et se partagent entre eux les autres candidats. Ce choix jamais gratuit,
est fait en fonction de l’allégeance du quémandeur au leader
qui l’a choisi et de ses capacités financières pour monnayer
les frais électoraux de la liste et, souvent, le choix dont il a
bénéficié. C’est ainsi que depuis très longtemps,
on a vu arriver à la députation des financiers tirés
du néant, mais avides d’honneurs et d’affaires nouvelles.
Ainsi se forme une oligarchie politique communément appelée
féodalité qui régente le gouvernement et bénéficie
de tous les avantages pouvant être tirés de l’Etat.
Ce système libanais fausse, pratiquement, toute représentation
réelle, puisque les citoyens sont amenés à élire
des personnes desquelles ils ignorent tout et ce, grâce aux instructions
reçues de leurs leaders respectifs.
De même que l’allégeance imposée par les faiseurs
de listes aux candidats choisis par chacun d’eux limite, dangereusement,
la liberté de ces députés qui est la base même
de toute démocratie.
Enfin, le scrutin de liste tel que pratiqué au Liban, n’existe
dans aucun pays démocratique ayant adopté le scrutin uninominal.
Nous ne citerons comme exemple que certains pays créateurs de la
démocratie moderne: Angleterre, France Allemagne, Italie, USA, etc...
II - SOLUTION PROPOSÉE
1 - Scrutin uninominal
L’oligarchie politique créée par le scrutin de liste
met le pouvoir politique et l’administration dans un état statique
incapable de promouvoir l’évolution que nécessitent les changements
sociaux et économiques. Ceci est dû à la présence
et à l’influence permanente des mêmes personnes et, très
souvent, à la transmission de leur situation à leurs héritiers.
A l’encontre de cet état statique, le pouvoir politique et l’administration
ont constamment besoin d’un renouveau qui accompagne l’évolution
sociale et économique. Ce dynamisme ne peut provenir que du scrutin
uninominal qui suit mieux que tout autre les modifications et l’évolution
de la société.
La scrutin uninominal est le seul qui soit de nature à assurer
en pratique le respect des principes démocratiques et le dynamisme
indispensable au pouvoir politique soit:
- Le droit de tout citoyen à être en pratique électeur
libre et éligible.
- Le droit à une représentation réelle.
- La libération des députés de l’influence des
leaders, qu’ils soient de leur communauté ou d’une autre.
- Le dynamisme du pouvoir.
- Le droit au changement.
Tout cela n’est possible que par le scrutin uninominal qui consiste
en ce qu’un électeur ne puisse voter que pour un candidat qui, du
reste, pourrait être étranger à sa communauté.
Ainsi, les leaders faiseurs des listes électorales sont éliminés,
car chacun d’eux bénéficiera du vote de ses partisans et
sera privé du droit d’en faire profiter des candidats de son choix.
Si ce leader est assez puissant pour partager le vote de ses partisans
avec un autre candidat de sa circonscription ou s’il a des partisans dans
d’autres circonscriptions qu’il peut diriger vers un candidat déterminé,
cela ne nuit pas à la représentation réelle, mais
ceci est hypothétique car chacun sera absorbé par son propre
sort. Ce système assurera l’arrivée à la députation
ou au conseil municipal de personnes qui représentent par eux-mêmes
et non par un autre la majorité des électeurs ainsi que leur
orientation. Par l’intermédiaire des circonscriptions et de la répartition
confessionnelle, les élus des confessions minoritaires dans certaines
régions seront libérés de l’influence des leaders
des communautés majoritaires.
2 - Circonscription électorale
Dans les pays pratiquant le vote uninominal, chaque circonscription
élit un député; ceci leur est possible du fait de
la laïcité des institutions étatiques et de l’absence
du confessionnalisme.
Ce découpage n’est pas souhaitable au Liban, parce qu’une trop
grande concentration dans une région d’électeurs appartenant
à la même communauté, risque d’entraîner une
surenchère confessionnelle.
Ensuite, ce découpage n’est pas possible à cause de la
cohabitation, dans presque toutes les régions ou même les
caïmacamats, de personnes appartenant à plusieurs communautés.
Très souvent, le nombre des membres des communautés minoritaires
n’est pas assez important pour leur accorder un député, mais
joints à celui d’une région voisine, il le devient. Dans
le premier cas, ces habitants minoritaires sont pratiquement privés
du droit à l’éligibilité et, dans le second, ils en
bénéficient; ainsi tous les citoyens acquièrent l’égalité
des droits politiques. Certains exemples explicitent davantage cet état
de fait. Dans chacun des caïmacamats de Zghorta et de Koura, le nombre
des habitants sunnites ne leur permet pas d’avoir un député.
Dans le caïmacamat de Dennieh, il y a deux minorités, l’une
maronite, l’autre orthodoxe, leur nombre ne leur donne pas droit à
un député. Dans les régions citées se trouvent,
donc, des citoyens libanais qui sont électeurs et pratiquement non
éligibles, mais regroupés ensemble, chacun d’eux accèdera
à l’éligibilité.
Ces exemples peuvent s’appliquer à la majorité des régions
libanaises et c’est pour cette raison primordiale qu’on ne peut diviser
le pays en autant de circonscriptions qu’il y a de députés.
Le principe serait de diviser le Liban en circonscriptions électorales
assurant le droit à l’éligibilité de tous ses habitants.
Peu importe la dimension géographique de chaque circonscription;
cette dernière peut être formée d’un ou de plusieurs
caïmacamats puisque le scrutin est uninominal; les élus de
chaque communauté seront ceux qui ont acquis le plus de voix par
rapport à leurs coreligionnaires. Toutefois, il est souhaitable
de ne pas choisir le mohafazat comme circonscription électorale,
à cause des frais que cela impose au candidat, obligé de
financer lui-même sa campagne; de l’ignorance de l’électeur
des candidats éloignés et de la crainte de voir certaines
régions privées d’une représentation.
A l’intérieur de chaque circonscription, les candidats se présenteront,
séparément; ne seront compétitifs entre eux que ceux
appartenant à la même communauté et ne seront donc
élus que ceux qui auront eu le plus de voix. Ainsi, à titre
d’exemple, si une circonscription a droit à dix députés
dont 3 maronites, 2 sunnites, 1 druze, 1 orthodoxe, 1 grec-catholique et
2 chiites, ne seront déclarés élus que les premiers
de chaque communauté.
Le vote uninominal assurera, également, la représentation
réelle des minoritaires dans les conseils municipaux.
Nous n’ignorons pas que ce système proposé ne trouvera
pas d’écho favorable auprès du pouvoir politique et ce, pour
différentes raisons dont notamment:
- La diminution de l’influence du pouvoir exécutif dans le déroulement
des élections.
- La destruction du pouvoir des leaders dans la formation des listes
électorales et, par voie de conséquence, au sein de l’Etat.
- La perte d’espoir de tout député peu influent ou sorti
du néant de reprendre sa position parlementaire.
Mais, malgré cela, il est utile sinon nécessaire de formuler
des critiques et d’avancer des idées utiles pour une meilleure application
des principes démocratiques, en vue d’assurer la liberté
des citoyens et l’égalité entre eux, seuls garants de l’unité
nationale, de l’évolution sociale, de l’attachement à la
patrie, capables de donner au Liban sa véritable mission de terre
de rencontre égalitaire entre l’Islam et la Chrétienté.