![]() Les ministres Charles Josselin et Sleiman Traboulsi saluant les otages.. |
![]() Depuis la jungle, en route vers la liberté sur un véhicule de fortune. |
En embarquant dans les hélicoptères de l’armée
philippine, ils laissaient derrière eux cette misérable île
de Jolo perdue dans la mer de Sulu au sud des Philippines, qui compte 100.000
habitants ne connaissant par-delà la jungle que des rues et des
bâtisses délabrées et aussi leurs compagnons d’infortune
des bras desquels il leur fallut s’arracher à travers des adieux
déchirants, abandonnant qui un fils, qui un époux, qui un
concubin, mais tous des amis.
![]() Emouvantes retrouvailles de Marie Moarbès et de son père Michel Moarbès à sa libération. |
![]() La mère de Marie Moarbès, Sarwath Baz et sa tante Hikmat Baz. |
150 kilomètres plus tard, en atterrissant à Zamboanga
sur l’île de Mindanao, la liberté prenait pour eux le visage
de parents ou d’amis, également ceux des négociateurs qui
les ont libérés de leurs ravisseurs et les ambassadeurs de
leurs pays respectifs. Exténués, mais vivants, ils ont été
entourés d’une nuée de photographes et journalistes évoluant
dans une cohue indescriptible. Parmi les retrouvailles les plus poignantes
celle de la Franco-Libanaise Marie Moarbès qui se jetait dans les
bras de son père, lequel l’attendait depuis quatre mois à
Manille. La douleur et la joie confondues dans les larmes!
De Zamboanga, ils se sont envolés vers la base militaire de
Cebu, au centre de l’archipel où ils ont passé leurs premières
24 heures de liberté et fait l’objet d’attentions réservées
aux hôtes de marque dans des locaux de luxe servant de base d’accueil
au président Joseph Estrada, ancien acteur de série B accédant
au rang de chef d’Etat en raison de son discours populiste.
A Cebu, les ex-otages (deux Françaises, Sonia Wendling, qui
laisse son compagnon Stéphane Loisy; Maryse Burgot, journaliste
de France 2, capturée le 9 juillet, qui laisse un cameraman et un
preneur de son de la même chaîne; une Franco-Libanaise, Marie
Moarbès; un Allemand, Werner Wallert dont la femme Renate avait
été libérée le 17 juillet et qui laisse dans
la jungle son fils Marc; une Sud-Africaine, Monique Strydom, rejointe le
lendemain par son mari Callie), ont pris place le lendemain à bord
de l’Iliouchine ayant appartenu à l’ex-président Boris Eltsine,
immobilisé sur le tarmac depuis plus de deux semaines et mis à
leur disposition par le colonel Kadhafi qui a joué un rôle-pivot
dans leur libération, sollicité notamment par l’Allemagne
et à qui un blanc-seing avait été accordé par
tous les pays concernés.
La libération manquée des otages, dix jours plus tôt,
avait été un coup dur pour toutes les parties, notamment
pour la Libye dont les liens avec les rebelles musulmans philippins datent
des années 70. Elle les avait soutenus, financés, entraînés,
accueillis sur son sol. Elle leur avait ouvert des bureaux et investi des
fonds dans leurs repaires perdus, fidèle à sa politique de
soutien des mouvements de libération musulmans en Asie. Et elle
avait parrainé en 1976 et en 1996 deux de leurs accords avec le
gouvernement philippin. Comme elle désirait dorénavant gagner
en respectabilité internationale et réintégrer le
concert des nations, lasse des attentats et des bruits de botte, notamment
après la suspension le 5 avril 1999 des sanctions de l’ONU qui la
frappaient depuis 1992 à l’issue de l’attentat du Boeing de Lockerbie.
![]() Le fils de Kadhafi, Seif al-Islam nie tout versement de rançon.. |
![]() Deux leaders du groupe Abu Sayyaf heureux d’avoir renforcé leur lot de fusils mitrailleurs: Galib Andang, alias Commandant Robot et Mujib Susukan. |
Jouant au pompier et au pyromane, la Libye, par le truchement de son
ex-ambassadeur à Manille Rajab Azzarouk et de Mohamed Ismaïl,
représentant de la fondation caritative Kadhafi dirigée par
l’un des fils du Guide de la révolution Seif al-Islam, a finalement
financé la libération des otages en octroyant 25 milliards
de fonds pour le développement du sud des Philippines. Selon le
site Internet de la fondation, cette aide va se traduire par la création
de huit dispensaires, la construction de mosquées et de centres
de formation professionnelle. De plus, un million de dollars aurait été
versé pour la libération de chacun des otages, ce qu’a vigoureusement
démenti par la suite Seif al-Islam.
Le groupe Abu Sayyaf a déjà engrangé, selon les
autorités philippines, 5,5 millions de dollars à la suite
de la libération de six Malaisiens et de deux Allemands dont un
journaliste du “Der Spiegel”. Ce qui lui a permis de se pourvoir en fusils
mitrailleurs dont le prix a doublé sur l’île où circulent
déjà deux millions d’armes.
![]() Marie Moarbès signant le livre d’or du palais détruit par les bombardements américains. |
![]() Kadhafi omniprésent, mais absent des cérémonies de Tripoli. |
Détenant encore 23 otages dont 6 Occidentaux et 17 Philippins
(parmi eux 13 évangélistes), lesquels devaient tous être
libérés le 16 août dernier et qui furent gardés
comme boucliers humains à la suite des mouvements de troupes de
l’armée philippine, les rebelles peaufinent avec une rare dextérité
la pratique de la piraterie en cours dans l’archipel, multipliant les prises
et faisant augmenter les enchères, loin de toute préoccupation
idéologique qui tient si peu de place face à l’enrichissement
par la voie du chantage et de la terreur.
Alors que les ex-otages s’apprêtaient à participer à
la cérémonie officielle de leur libération à
la caserne Bab el-Azizia de Tripoli qui fut bombardée par les Américains
en avril 1986 (après avoir passé une nuit à Ras-el-Khayma
dans les Emirats arabes unis et avant de se rendre dans leurs pays respectifs),
en présence des ministres de leurs pays auxquels ils furent officiellement
remis (Sleiman Traboulsi, ministre libanais des Ressources hydrauliques
et électriques; Charles Josselin, ministre français de la
Coopération; Christoph Zoelpese, secrétaire d’Etat allemand
aux Affaires étrangères et Nkosazana Dlamini-Zuma, ministre
sud-africaine des Affaires étrangères) et des officiels libyens
et en l’absence du colonel Kadhafi et de son fils Seif al-Islam, le groupe
Abu Sayyaf ternissait l’éclat de la fête en confirmant l’enlèvement
d’un ressortissant américain et menaçant de l’exécuter
si trois extrémistes islamistes dont le Pakistanais Ramzi Youssef,
auteur présumé de l’attentat du World Trade Center à
New York en février 1993, n’étaient pas libérés.
Jeffrey Edward Craig Schilling, 24 ans, originaire d’Ockland en Californie,
fiancé à Ivy Osani, une Philippine musulmane, a été
à Zamboanga et conduit sur l’île de Jolo où il s’était
rendu pour rencontrer un membre de la famille de sa fiancée appartenant
au groupe Abu Sayyaf. Ceux-ci le soupçonnent d’appartenir à
la CIA.
Le feuilleton noir de l’enfer de Jolo est encore loin de son épisode
final. Le 23 avril dernier, les otages étaient 21. En dépit
de la libération par groupes de plusieurs d’entre eux, leur nombre
a augmenté, car la prise d’otages est devenue un commerce florissant
et éminemment rentable, la loi du glaive et de la jungle ayant le
dernier mot.