LOIN DE L’ENFER DE LA JUNGLE PHILIPPINE
LE LONG CHEMIN DU RETOUR DES EX-OTAGES DE JOLO

Au matin du dimanche 27 août, après un intermède de 127 jours aussi long que des années-lumière les séparant du dimanche de Pâques du 23 avril où la plupart d’entre eux avaient été enlevés sur la plage de l’île malaisienne de Sipadan, paradis de la plongée sous-marine, cinq otages occidentaux quittaient l’enfer de Jolo, enfin libres! Ils traversaient quatorze kilomètres de jungle sur un véhicule bringuebalant qui, plus d’une fois, s’est embourbé pour les conduire enfin au poste militaire de Tagbak, aux frontières du territoire du groupe de rebelles musulmans Abu Sayyaf.
 

Les ministres Charles Josselin et 
Sleiman Traboulsi saluant les otages..

Depuis la jungle, en route vers la 
liberté sur un véhicule de fortune.

En embarquant dans les hélicoptères de l’armée philippine, ils laissaient derrière eux cette misérable île de Jolo perdue dans la mer de Sulu au sud des Philippines, qui compte 100.000 habitants ne connaissant par-delà la jungle que des rues et des bâtisses délabrées et aussi leurs compagnons d’infortune des bras desquels il leur fallut s’arracher à travers des adieux déchirants, abandonnant qui un fils, qui un époux, qui un concubin, mais tous des amis.
 

Emouvantes retrouvailles de 
Marie Moarbès et de son père 
Michel Moarbès à sa libération.

La mère de Marie Moarbès, 
Sarwath Baz et sa tante Hikmat Baz.

150 kilomètres plus tard, en atterrissant à Zamboanga sur l’île de Mindanao, la liberté prenait pour eux le visage de parents ou d’amis, également ceux des négociateurs qui les ont libérés de leurs ravisseurs et les ambassadeurs de leurs pays respectifs. Exténués, mais vivants, ils ont été entourés d’une nuée de photographes et journalistes évoluant dans une cohue indescriptible. Parmi les retrouvailles les plus poignantes celle de la Franco-Libanaise Marie Moarbès qui se jetait dans les bras de son père, lequel l’attendait depuis quatre mois à Manille. La douleur et la joie confondues dans les larmes!
De Zamboanga, ils se sont envolés vers la base militaire de Cebu, au centre de l’archipel où ils ont passé leurs premières 24 heures de liberté et fait l’objet d’attentions réservées aux hôtes de marque dans des locaux de luxe servant de base d’accueil au président Joseph Estrada, ancien acteur de série B accédant au rang de chef d’Etat en raison de son discours populiste.
A Cebu, les ex-otages (deux Françaises, Sonia Wendling, qui laisse son compagnon Stéphane Loisy; Maryse Burgot, journaliste de France 2, capturée le 9 juillet, qui laisse un cameraman et un preneur de son de la même chaîne; une Franco-Libanaise, Marie Moarbès; un Allemand, Werner Wallert dont la femme Renate avait été libérée le 17 juillet et qui laisse dans la jungle son fils Marc; une Sud-Africaine, Monique Strydom, rejointe le lendemain par son mari Callie), ont pris place le lendemain à bord de l’Iliouchine ayant appartenu à l’ex-président Boris Eltsine, immobilisé sur le tarmac depuis plus de deux semaines et mis à leur disposition par le colonel Kadhafi qui a joué un rôle-pivot dans leur libération, sollicité notamment par l’Allemagne et à qui un blanc-seing avait été accordé par tous les pays concernés.
La libération manquée des otages, dix jours plus tôt, avait été un coup dur pour toutes les parties, notamment pour la Libye dont les liens avec les rebelles musulmans philippins datent des années 70. Elle les avait soutenus, financés, entraînés, accueillis sur son sol. Elle leur avait ouvert des bureaux et investi des fonds dans leurs repaires perdus, fidèle à sa politique de soutien des mouvements de libération musulmans en Asie. Et elle avait parrainé en 1976 et en 1996 deux de leurs accords avec le gouvernement philippin. Comme elle désirait dorénavant gagner en respectabilité internationale et réintégrer le concert des nations, lasse des attentats et des bruits de botte, notamment après la suspension le 5 avril 1999 des sanctions de l’ONU qui la frappaient depuis 1992 à l’issue de l’attentat du Boeing de Lockerbie.
 

Le fils de Kadhafi, Seif al-Islam 
nie tout versement de rançon..

Deux leaders du groupe Abu Sayyaf 
heureux d’avoir renforcé leur lot de 
fusils mitrailleurs: Galib Andang, alias 
Commandant Robot et Mujib Susukan.

Jouant au pompier et au pyromane, la Libye, par le truchement de son ex-ambassadeur à Manille Rajab Azzarouk et de Mohamed Ismaïl, représentant de la fondation caritative Kadhafi dirigée par l’un des fils du Guide de la révolution Seif al-Islam, a finalement financé la libération des otages en octroyant 25 milliards de fonds pour le développement du sud des Philippines. Selon le site Internet de la fondation, cette aide va se traduire par la création de huit dispensaires, la construction de mosquées et de centres de formation professionnelle. De plus, un million de dollars aurait été versé pour la libération de chacun des otages, ce qu’a vigoureusement démenti par la suite Seif al-Islam.
Le groupe Abu Sayyaf a déjà engrangé, selon les autorités philippines, 5,5 millions de dollars à la suite de la libération de six Malaisiens et de deux Allemands dont un journaliste du “Der Spiegel”. Ce qui lui a permis de se pourvoir en fusils mitrailleurs dont le prix a doublé sur l’île où circulent déjà deux millions d’armes.
 

Marie Moarbès signant le livre d’or du 
palais détruit par les bombardements 
américains.

Kadhafi omniprésent, mais absent 
des cérémonies de Tripoli.

Détenant encore 23 otages dont 6 Occidentaux et 17 Philippins (parmi eux 13 évangélistes), lesquels devaient tous être libérés le 16 août dernier et qui furent gardés comme boucliers humains à la suite des mouvements de troupes de l’armée philippine, les rebelles peaufinent avec une rare dextérité la pratique de la piraterie en cours dans l’archipel, multipliant les prises et faisant augmenter les enchères, loin de toute préoccupation idéologique qui tient si peu de place face à l’enrichissement par la voie du chantage et de la terreur.
Alors que les ex-otages s’apprêtaient à participer à la cérémonie officielle de leur libération à la caserne Bab el-Azizia de Tripoli qui fut bombardée par les Américains en avril 1986 (après avoir passé une nuit à Ras-el-Khayma dans les Emirats arabes unis et avant de se rendre dans leurs pays respectifs), en présence des ministres de leurs pays auxquels ils furent officiellement remis (Sleiman Traboulsi, ministre libanais des Ressources hydrauliques et électriques; Charles Josselin, ministre français de la Coopération; Christoph Zoelpese, secrétaire d’Etat allemand aux Affaires étrangères et Nkosazana Dlamini-Zuma, ministre sud-africaine des Affaires étrangères) et des officiels libyens et en l’absence du colonel Kadhafi et de son fils Seif al-Islam, le groupe Abu Sayyaf ternissait l’éclat de la fête en confirmant l’enlèvement d’un ressortissant américain et menaçant de l’exécuter si trois extrémistes islamistes dont le Pakistanais Ramzi Youssef, auteur présumé de l’attentat du World Trade Center à New York en février 1993, n’étaient pas libérés. Jeffrey Edward Craig Schilling, 24 ans, originaire d’Ockland en Californie, fiancé à Ivy Osani, une Philippine musulmane, a été à Zamboanga et conduit sur l’île de Jolo où il s’était rendu pour rencontrer un membre de la famille de sa fiancée appartenant au groupe Abu Sayyaf. Ceux-ci le soupçonnent d’appartenir à la CIA.
Le feuilleton noir de l’enfer de Jolo est encore loin de son épisode final. Le 23 avril dernier, les otages étaient 21. En dépit de la libération par groupes de plusieurs d’entre eux, leur nombre a augmenté, car la prise d’otages est devenue un commerce florissant et éminemment rentable, la loi du glaive et de la jungle ayant le dernier mot.

EVELYNE MASSOUD

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