tribune
L’HEURE DE WALID BEY?...
Le jour du scrutin, l’électeur est roi. Les voix des candidats se sont tues. Après une campagne de bruits et de fureurs, toute agitation est censée retomber. Dans le silence de l’isoloir, l’électeur seul avec sa conscience a la parole: sur un bout de papier, il exprime sa volonté. Il est l’arbitre.
On les a vus ces citoyens-rois se présenter, tranquillement, aux bureaux de vote pour accomplir leur devoir au cours de ce premier dimanche de la consultation. Apparemment, ils y croyaient et avec beaucoup de sérieux.
Les plus jeunes d’entre eux étaient émouvants de discipline, surtout les filles en jeans et chemisier moulant ou tee-shirt et casquette au nom du candidat. Présence active d’une génération décidée à prendre ses responsabilités. Les rumeurs de corruption, d’achats de voix, de pressions occultes étaient balayées. Et le panachage des listes est venu témoigner du haut degré de l’attachement du citoyen à sa liberté de choix.
A ces électeurs-là, il faudrait dresser une statue comme on érige un monument au “soldat inconnu”. Ce sont les soldats de la démocratie. Grâce à eux, le système fonctionne. Et le Liban peut garder l’espoir de devenir un jour une véritable République parlementaire. Tout est que les élus répondent aux espoirs et à la confiance de leurs électeurs. Car si les premiers ont montré qu’ils savent jouer le jeu, les seconds jusqu’ici ont rarement mérité le pouvoir qui leur était conféré. C’est ainsi qu’on a entendu un électeur du Akkar révéler qu’il avait formé sa liste en éliminant tous les anciens députés. Il n’a voté que pour des candidats nouveaux quoique inconnus, a-t-il précisé. N’est-ce pas admirable?
Le contraste a toujours été remarquable entre le sérieux que mettent les électeurs (spécialement ceux de la montagne) à tenir leur rôle et les mœurs de l’institution issue de leur vote où règnent le verbiage et l’impuissance quand ce n’est pas la corruption.
On n’a que le parlement qu’on mérite, penseriez-vous? Ce n’est pas si sûr. Car le pouvoir corrompt. On avait voté pour ceux qu’on croyait les meilleurs, pour découvrir plus tard qu’ils sont devenus complices de toutes les turpitudes. Pas tous, sans doute, mais il y a des complicités passives.

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Maintenant, c’est le tour de Beyrouth, du Liban-Sud et de la Békaa.
Il est probable que, dans ces circonscriptions, la conscience civique sera moins sensible qu’ailleurs. Les causes en sont évidentes: Beyrouth est un port de commerce cosmopolite (“un souk au bord de l’eau”, comme l’a décrit, jadis un diplomate français), le sens du destin national y est toujours dilué dans les traditions du mercantilisme; la vénalité y a toujours marqué la vie politique. Quant à la Békaa et au Liban-Sud, c’est à des degrés divers, la féodalité sur fond de misères, qui y règle les comportements.
Et pourtant, c’est du scrutin de Beyrouth que dépend, depuis 1992, l’orientation générale de l’Etat et d’une vie politique sous tutelle.
Il n’en fut pas toujours ainsi. Lorsque la compétition mettait aux prises les deux coalitions du Destour et du Bloc national d’où était issu un président de la République encore tout puissant, c’était le scrutin du Mont-Liban qui déterminait l’avenir. Ne faut-il pas, d’ailleurs, situer les récents efforts de réconciliation et de rassemblement de M. Walid Joumblatt dans le cadre d’un redressement qui redonnerait à la montagne son rôle primordial?
Rien n’est plus important, désormais, que ce retour à une tradition qui est le fondement même de la constitution, à travers l’histoire, d’un Liban indépendant doté d’une spécificité nationale qui le singularise par rapport à tout son voisinage. Un Joumblatt, mieux que quiconque, est capable d’en saisir le sens et la portée. Il assume, à cet égard, un héritage incontestable. En montrant qu’il en a pris conscience, il ouvre une porte à l’espoir. Ce retour est un retour aux sources.
Il faudrait seulement que sa démarche ne soit pas handicapée  par un choix erroné d’alliances circonstancielles qui risqueraient d’en dévoyer le cours.

***

Est-ce que ces considérations nous éloignent de ce nouveau dimanche électoral?
Ce n’est pas sûr. Car c’est bien de ce dernier scrutin que pourrait dépendre l’orientation et la forme finale de la nouvelle navigation joumblattiste.
Walid bey, si vive que soit son intelligence politique, n’est pas à l’abri ni des écueils, ni des sirènes. 


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