Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
UN CYCLONE NOMMÉ RAFIC
Beaucoup ont parlé de séisme, d’autres de cataclysme, d’autres encore ont évoqué le naufrage du Titanic. Ce n’est pas aussi dramatique, mais peut-être, à certains égards, aussi saisissant, dans la mesure où le cyclone Hariri a emporté dans son tourbillon les leaderships les mieux assis et des bastions que l’on croyait solidement enracinés dans la conscience populaire. De là à crier à une révolution cosmique, à l’arrêt de l’image sur une nouvelle page d’Histoire, il y a un pas - et même plusieurs - qu’il convient de ne pas franchir, sinon par modestie, du moins par réalisme.
Il est vrai que le président Hariri a offert aux amateurs du Guinness Book quelques grandes premières. C’est, en effet, la première fois que le parti Tachnag, qui tient depuis plus d’un demi-siècle d’une main de fer le vote arménien, voit ses candidats blackboulés par un écart de voix sidérant. C’est la première fois qu’un non-Beyrouthin fait la pluie et le beau temps dans une capitale réputée pour son caractère ombrageux et fidèle, jusqu’à présent, aux valeurs de son establishment politique traditionnel. C’est, aussi, la première fois qu’un des chefs de l’opposition réalise le grand schelem dans une ville réputée pour ses antagonismes internes.
A ce stade, l’ex-chef du gouvernement devrait remercier le ministre de l’Intérieur, non seulement d’avoir réussi des élections régulières et dans une grande mesure, impartiales, comme il l’a déclaré dans sa conférence de presse, mais surtout d’avoir, de concert avec le ministre de la Justice, inventé une loi électorale qui lui a permis (à Hariri), grâce à un découpage ahurissant, de faire une entrée fracassante au parlement avec ses trois listes au grand complet. Une loi qui, sous prétexte d’intégration sociale vers la suppression du confessionnalisme, a abouti à une sorte de melting-pot où grouillent et croissent, sous leurs formes les plus hideuses, le sectarisme, le fanatisme et l’obscurantisme. En un mot, une loi que l’on dirait destinée à envoyer au parlement le moins possible de députés représentatifs de leur propre électorat.
Cela ne minimise pas pour autant l’incroyable tour de force réalisé par l’ex et probable futur Premier ministre. L’ampleur du vote populaire qui s’est porté sur lui, la confiance massive que lui a accordée un électorat, avide de changement, a fait de lui ce cyclone qui a tout balayé sur son passage et, par un curieux phénomène, l’a placé de ce fait même dans l’œil du cyclone. Car il ne faut pas s’y tromper. Sans aller jusqu’à qualifier ses colistiers de “Yes men”, c’est lui et lui seul, à part une ou deux exceptions, qui a été plébiscité. Il aurait pu tout aussi bien former une liste avec Blanche-Neige et les sept nains, ou prendre comme colistiers la Dame aux Camélias, Arsène Lupin ou Jack l’Eventreur, que les électeurs l’auraient suivi les yeux fermés. Et cela l’investit d’une responsabilité dont il sera comptable un jour.
Si, ce faisant, le but de Rafic Hariri est de devenir le leader incontesté du sunnisme libanais, il aura réussi son pari. Mais dans ce cas, il ne sera jamais qu’un parmi d’autres, notamment Walid Joumblatt qui s’est imposé chez les druzes, Nabih Berri et le Hezbollah qui ont monopolisé la représentation chiite. S’il ambitionne, par contre, d’accéder à la dimension de leader national, il devrait refaire ses calculs et tenir compte de la composante chrétienne du Liban, une composante essentielle, qu’il a, durant son précédent passage au Pouvoir, grandement contribué à marginaliser.
Il devra, aussi, laisser de côté ses tendances à l’autocratie, éviter la tentation de confrontation vers laquelle le porte son tempérament et penser moins à son image de marque qu’à la crise dans laquelle se débat le pays, réduit presque à l’indigence, à un Etat où les institutions ne sont plus que des ombres domestiquées par d’autres ombres sur fond d’une société d’exclusion.
Il devrait, surtout, cesser de parler, comme il l’a fait au cours de sa conférence de presse de la “ligne nationale” comme s’il sous-entendait ainsi qu’il fait un tri discriminatoire dans la population entre les patriotes qui le suivent et les autres...
Le président Hariri peut aujourd’hui, de par son entregent, de par le vaste réseau de ses relations internationales, de par son esprit de décision, de par le soutien populaire qui ne lui a pas été marchandé, il peut donc plus qu’aucun autre, redresser la barre, remettre le pays sur les rails et conjuguer ses efforts avec ceux du président de la République pour faire face aux nombreuses échéances - dont certaines critiques - que nous aurons à affronter. 
Beyrouth vient de lui donner la chance - une seconde chance - de le faire. Pourvu qu’il ne la joue pas à la roulette russe. 

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