Entourée de ses codétenus,
elle exprime sa joie d’être libérée.
Marie Michel Moarbès a fait la “une” des médias pendant
plusieurs mois, tout à fait à son insu et sans l’avoir voulu.
Partie en vacances faire de la plongée en avril dernier, elle croyait
quitter son appartement parisien pour une quinzaine de jours. Elle ne devait
le retrouver que quatre mois plus tard, après avoir vécu
une aventure infernale suite à son enlèvement, avec d’autres
touristes, par les hommes d’Abu Sayyaf, présentés par une
certaine presse comme “un groupe de pirates maquillés en combattants
islamiques”.
Le cauchemar est fini pour Marie Moarbès qui vient de réintégrer
sa vie et sa famille (ainsi que cinq autres otages, vingt-quatre étant
encore détenus, dont 6 de ses camarades).
De passage au Liban où elle est venue témoigner son affection
et sa gratitude à son pays natal: Presse, parents et amis qui l’ont
accompagnée anxieusement jour après jour, comptant avec elle
les semaines et les mois.
A la veille de son retour en France et malgré la vive émotion
ressentie par Marie, encore fragile tout de même, qui vient de recevoir
des lettres affectueuses de ses camarades de détention, elle a parlé
à “La Revue du Liban”, qui lui a consacré de nombreux articles
et l’a suivie pas à pas jusqu’à sa libération, fière
de cette héroïne qui s’ignore et fait honneur à son
pays.
Au cours de votre détention, vous rendiez-vous compte que
vous étiez le point de mire de la Presse internationale?
Pas du tout. Figurez-vous que le premier message ne m’est parvenu qu’un
mois et demi après mon enlèvement. C’était le fax
de mon père; puis, une lettre de ma cousine me disant qu’on m’envoyait
des messages de sympathie sur Internet. Avant, j’ignorais même si
on savait que j’avais été enlevée.
Même plus tard, enfouie au fond d’une jungle où la seule
radio émettait dans le dialecte local, je ne me doutais pas
du tout de cet intérêt. Je découvre, aujourd’hui encore,
tous ces articles et je n’en reviens pas.
TOUT EST ALLÉ TRÈS VITE
Quelle impression vous laisse votre transit en Libye?
Cela s’est passé très vite, vous savez. Depuis ma libération,
la conférence de presse et jusqu’à mon retour chez moi, tout
est allé trop vite. Je n’ai pas vraiment eu le temps de comprendre:
pendant quatre mois, il ne s’était rien passé dans ma vie:
lever, manger, coucher, le soleil, les cocotiers. Puis, soudain, en 48
heures, les événements se sont précipités;
il m’arrivait trop de choses à la fois. Je n’ai rien enregistré.
Puis, j’étais sortie sans les autres et cela me faisait très
mal.
Vous reconnaissez-vous dans la description, souvent héroïque,
qu’ont faite de vous les médias?
Non. En effet, j’ai l’impression que c’est l’histoire de quelqu’un
d’autre. Je ne me suis jamais vue à la télé ou dans
les journaux, pendant tout ce temps. Aujourd’hui, je m’en prends en plein
dans la figure. Je reconnais mes camarades dans la presse, pas moi. Je
me sens étrangère à tout cela. Cependant, quand j’ai
découvert qu’une de mes lettres adressées à mon père
a été publiée et traduite sans lui avoir jamais été
remise, cela m’a mise en colère; c’était une missive intime
adressée à mon père, pas une déclaration à
la presse.
D’autre part, je n’ai rien d’héroïque et je redeviens une
fille normale, comme toutes les autres. Je n’ai rien fait de spécial.
Je n’ai pas réfléchi, c’est tout. Car dans des situations
pareilles, on n’a pas le temps d’intellectualiser ou de se poser des questions.
Je devais réagir; je l’ai fait de mon mieux. C’est une réaction
de survie.
![]() Enfin libre, elle sort de l’aéroport avec son père qui l’avait attendue aux Philippines des mois durant. |
![]() Marie Moarbès pendant sa détention. |
MON PÈRE M’A DONNÉ LA FORCE DE
LUTTER
Vous avez pourtant fait preuve d’un courage exemplaire, gardant
votre sang-froid, secourant vos codétenus et même vos ravisseurs.
Où puisiez-vous donc cette force?
Franchement, on était crevés. Il y avait eu des fusillades
atroces, des courses effrénées. J’étais fatiguée
de toutes ces émotions; j’en avais ras-le-bol. Aussi, ai-je décidé
de ne plus manger, ni boire, de me laisser aller. Puis, on est venu me
dire: “Ton père est là, aux Philippines”. Je n’en crois,
d’abord, pas un mot, bien sûr. Comment mon père, qui a 72
ans et dont la santé laisse à désirer, pouvait-il
avoir supporté les longues heures de vol? Mais on m’a appelée:
il parlait à la radio, en anglais, s’adressant à moi, me
disant qu’il était là et qu’il me sortirait de ce mauvais
pas. Alors, voyez-vous, j’ai pensé que si cet homme de 72 ans se
battait pour moi, pouvais-je à 32 ans en faire moins? Il m’a redonné
la force de lutter.
Quel sens la liberté a-t-elle aujourd’hui pour vous après
cette aventure?
Je ne suis pas encore vraiment libre. Six personnes sont encore retenues
à Jolo et tant qu’elles n’auront pas été libérées,
je ne savourerai pas ma liberté. Les ravisseurs ont décidé
de relâcher les femmes, quatre dont moi-même et un homme, croyant
peut-être qu’elles sont plus faibles. Franchement, j’aurais pu rester
une semaine de plus, à condition qu’on relâche Seppo, notre
camarade finlandais dont les nerfs craquaient déjà.
Je me sentais plus forte alors qu’il était au plus mal. Je me
fais du souci pour ceux qui sont restés à Jolo. Depuis que
nous sommes partis, il reste quatre hommes, les deux journalistes étant
dans un autre camp. Ils doivent se sentir trop seuls; la présence
des femmes adoucissait un peu ce calvaire. Ils nous ont vu partir, alors
qu’ils restaient: un véritable déchirement!
J’AI BEAUCOUP APPRIS...
On pense généralement à soi-même dans
ce genre de circonstances, pas aux autres: on veut sauver sa peau. Comment
est née cette solidarité si intense?
Il est vrai que je suis soulagée d’être dehors; pas heureuse.
On a failli mourir tous ensemble: cela crée des liens indéfectibles.
Sonia et Monique seules (deux autres otages) peuvent me comprendre aujourd’hui,
plus même que mes parents. Cela ne peut pas s’exprimer avec des mots.
Ce sont des émotions vécues, des moments partagés,
des chagrins, des fous-rires... On est lié à vie par une
sorte de complicité. Nous sommes une famille maintenant.
Quelle leçon tirez-vous de ce malheureux épisode?
J’avais beaucoup à apprendre et j’ai beaucoup appris sous mon
cocotier. Je me suis rapprochée des valeurs essentielles. J’ai reçu
beaucoup d’amour, appris à relativiser, à aller au fond des
choses. L’essentiel? Ce sont les gens qu’on aime et qui nous aiment; c’est
aussi le leur dire et être avec eux.
Dorénavant, ma vie sera merveilleuse, j’en suis sûre.