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QUAND ON VOTE SUR UN PORTRAIT...
Dans l’un de ses “Propos de politique”, Alain a écrit: “L’homme gros est politique de nature par l’attention qu’il a à ses formes.” Et il ajoutait: “A ce compte, Machiavel était un maigre qui essayait, par industrie, d’occuper autant de place qu’un gros”.
En voulant appliquer cette idée au spectacle électoral qui vient de s’achever à Beyrouth, on s’aperçoit que si les gros ont bien fait la preuve de leurs dons politiques, par contre, les maigres n’avaient rien d’un Machiavel. Ils ont perdu.
On peut résumer la bataille électorale de Beyrouth, qui a vu le triomphe de M. Hariri sur M. Hoss, par cette image d’une opposition assez cruelle entre les représentants de l’austérité et ceux de l’abondance. Maigres contre gros. Les portraits des candidats, à défaut de programmes explicites, en étaient la parfaite illustration.

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On a eu beau jeu, d’un côté, de démontrer que c’est la gestion des divers gouvernements de M. Hariri qui est responsable de l’austérité à laquelle le pays est condamné maintenant et depuis deux ans, il n’en demeure pas moins qu’aux yeux d’un peuple affamé, ce portrait d’un candidat nanti, épanoui de prospérité et de satisfaction, devait avoir quelque chose de fascinant - comme la vision d’une table somptueusement garnie pour un homme tiraillé par la faim après un long carême.
Il n’est donc pas nécessaire de rechercher les causes du succès de M. Hariri dans l’usage abusif de l’argent, comme l’a fait la propagande électorale de M. Hoss. Il suffisait qu’aux yeux de l’électeur ployant sous le poids de sa misère, le portrait de M. Hariri soit l’équivalent d’une promesse: n’est-il pas, à lui seul, la personnification de l’abondance et de la prospérité? Il est l’Argent-roi. Un homme en or. En votant pour lui, l’électeur a le sentiment qu’il pénètre dans une mine où il peut gratter quelques pépites.
L’affrontement, dans ces conditions, était inégal.
Qu’on s’appesantisse encore sur la responsabilité de M. Hariri dans l’endettement de l’Etat, le fait est que ses successeurs n’ont pas réussi à surmonter la crise socio-économique, dont la gestion haririenne est rendue coupable. A supposer même que le ministre des Finances puisse démontrer, chiffres en main, que la situation est, désormais, maîtrisée, il reste que dans l’activité quotidienne, ce succès ne s’est pas encore traduit par des résultats tangibles: Le déficit est là et le chômage pousse à l’émigration.
Ce problème socio-économique est trop compliqué pour qu’il soit possible d’influencer le vote de l’électeur en essayant de lui en expliquer les tenants et les aboutissants. Après tout, la campagne électorale n’avait été menée qu’à coups de portraits. Or, l’un représentait la fortune faite, l’autre l’austérité et la modestie. Ainsi, les jeux étaient faits. On a voté pour le portrait le plus prometteur.

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Maintenant, il s’agit de gouverner. C’est-à-dire d’abord, de tirer de cette nouvelle Chambre élue sur la base d’une loi unanimement condamnée, une équipe ministérielle homogène et équilibrée, capable de répondre aux attentes d’un pays exsangue.
La nouvelle Assemblée paraît dominée par une coalition aléatoire Berri-Joumblatt-Hariri. Cela ne représente pas une vraie plate-forme politique, mais une simple rencontre d’intérêts circonstanciels. Les personnalités et les communautés laissées hors jeu par les résultats des élections ne représentent pas des forces structurées susceptibles de perturber les procédures institutionnelles. Leurs figures de proue ne sont pas, d’ailleurs, du genre à menacer quoi que ce soit comme ce fut le cas, par exemple, après les élections désastreuses de 1957, quand l’opposition fut laminée et s’était associée à des intérêts étrangers.
M. Joumblatt, qui est apparu ces derniers temps avec un discours d’ouverture et dans un rôle de rassembleur, pourra-t-il peser sur la conception même du type de gouvernement dont le pays a maintenant besoin et sur son programme?
Si l’on met ainsi l’accent sur le rôle du leader druze dans cette conjoncture, c’est parce qu’il est aujourd’hui le seul représentant d’une vision historique de la nation libanaise et des conditions de sa paix intérieure. Il possède des racines dont aucun  de ses partenaires de la nouvelle majorité ne peut se prévaloir.
C’est là que résident sa force véritable et sa richesse morale. Comment va-t-il en user?
M. Hariri apporte à cette association son entregent d’homme d’affaires, M. Berri le poids des masses populaires revendicatrices, M. Joumblatt, seul, personnifie l’idée d’un Liban éternel.


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