MICHEL AOUN À “LA REVUE DU LIBAN”:
“MON DIALOGUE AVEC WALID JOUMBLATT N’A PAS COMMENCÉ D’UNE MANIÈRE DIRECTE”

. Il y a plus de dix ans, les députés libanais se sont réunis à Taëf, en Arabie saoudite, où ils ont approuvé ce qu’on a appelé le “document de l’entente nationale” devenu, par la suite, la nouvelle Constitution libanaise.
Cependant, le général Michel Aoun, alors chef du gouvernement militaire et commandant en chef de l’Armée, avait rejeté ce document, considérant qu’il a été imposé aux membres de l’Assemblée nationale “par la force du fait accompli régional et international, en vue de satisfaire la Syrie”.
Aussi, a-t-il appelé à la tenue d’une table ronde interlibanaise pour en débattre.
Mais le climat prévalant au Proche-Orient, la guerre irako-koweitienne et les préparatifs en vue du règlement du conflit israélo-arabe n’ont pas permis au Général de torpiller l’accord de Taëf. C’est pourquoi, il a été classé parmi les “rebelles” et il a été mis fin à sa “rébellion” le 13 octobre 1990, par une opération militaire qui l’a contraint à quitter le palais de Baabda pour se réfugier à l’ambassade de France à Hazmieh pour, de là, gagner Paris. Son exil devait prendre fin au terme de cinq ans, en vertu d’un arrangement conclu, à l’époque, entre Damas et Beyrouth, d’une part, et le gouvernement français, de l’autre.
Pendant ce temps, le train de Taëf a poursuivi son chemin, perdant en route plusieurs de ses “passagers” qui ont préféré l’abandonner et faisant quelques victimes dont la plus en vue est le Dr Samir Geagea qui a été condamné à la prison à vie.
L’exil du Général et l’incarcération du Docteur (Geagea), ont créé un état de prostration dans le camp chrétien qui s’est traduit par un déséquilibre au niveau du Pouvoir; puis, par un boycottage quasi-total des législatives de 1992, lequel a été observé à un degré moindre aux élections générales de 1996 et de 2000.
Tout récemment, le “ras-le-bol chrétien” s’est manifesté avec plus d’acuité à la messe commémorative célébrée en l’église de la Médaille miraculeuse des Lazaristes à Achrafieh, à l’occasion du dix-huitième anniversaire de l’assassinat du président Bachir Gemayel et à la messe du souvenir de Mayfouk, en mémoire des martyrs des Forces libanaises.
Enfin, à cela est venu s’ajouter le communiqué musclé de l’Assemblée des prélats maronites qui a crevé l’abcès, en évoquant en des termes fermes et clairs, le problème de la présence syrienne au Liban. Ce qui a provoqué une réplique de la part du Conseil des ministres, du mufti de la République, cheikh Mohamed Rachid Kabbani et du vice-président du Conseil supérieur chiite, cheikh Abdel-Amir Kabalan.
Dans ce climat rappelant, étrangement, celui ayant précédé la guerre libanaise et que beaucoup de Libanais appréhendent, appelant les responsables à dissiper sans retard la tension qui commence à poindre dans les différents milieux, un courant se dessine en faveur d’un dialogue à l’échelle nationale, aux fins de prévenir de nouveaux dérapages dont le pays paierait les frais. M. Walid Joumblatt, leader du parti socialiste progressiste, a été le premier à prendre l’initiative de se rapprocher des personnalités chrétiennes, pour favoriser ce dialogue. A cet effet, il a rendu visite au président Amine Gemayel et tendu la main au général Michel Aoun.
La conjoncture locale se prête-t-elle mieux, à présent, à un tel dialogue et ce dernier peut-il, dans les circonstances actuelles, atteindre sa finalité?

Les partisans du général Aoun ne cachent pas leur admiration pour le courage de M. Joumblatt, mais se demandent si “l’interdit syrien”, qui rendait difficile l’amorce de ce dialogue, est maintenant levé après l’accession à la présidence à Damas du Dr Bachar Assad!
La coterie du leader du PSP pense que les récentes élections législatives ont préparé le terrain au dialogue interlibanais, d’autant que le retrait israélien du Sud et de la Békaa-ouest a apporté un élément positif permettant de tourner la page du passé.
Les milieux proches de Damas disent que le dialogue interlibanais est une affaire intérieure libanaise et que la Syrie qui ne s’est pas opposée au retour du président Amine Gemayel, ne trouve aucun empêchement à la rentrée au pays du général Michel Aoun. Ils ajoutent, toutefois, que “le dialogue doit être institué sous le plafond de Taëf”.
Le général Aoun estime, quant à lui, que “l’accord de Taëf a été dépassé par le temps, de l’aveu même de ses promoteurs, d’autant qu’il a été appliqué jusqu’ici d’une manière sélective”.
Quoi qu’il en soit, un courant s’est dessiné depuis la fin des récentes législatives en faveur d’un dialogue sérieux et d’un gouvernement d’entente nationale apte à sortir le pays de la crise grave dans laquelle il se débat. Ceci rend impérieux le retour du général Aoun après celui du président Gemayel, la libération du Dr Samir Geagea et la rentrée de tous les “exilés politiques”, toutes communautés et confessions confondues, pour permettre à la vie politique de reprendre son cours normal au Liban.
La prise de contact joumblatto-aouniste peut être considérée comme un indice palpable pour juger du sérieux des appels lancés en faveur de l’entente nationale dont le pays des Cèdres a plus que jamais besoin aujourd’hui.
Sur tous ces points, nous avons recueilli l’avis du général Aoun qui a répondu à toutes nos questions, même les plus embarrassantes.

PAS DE CONTACTS DIRECTS AVEC JOUMBLATT...
Où en sont vos contacts - directs ou indirects - avec M. Walid Joumblatt?
On ne peut encore parler de contacts directs ou indirects entre nous, à l’exception de ceux rapportés par les médias, ayant eu lieu entre certains responsables du courant national libre et du parti socialiste progressiste. En ce qui me concerne, je joue cartes sur table, partant du fait que pour être fructueux, un dialogue doit être franc, à découvert et sincère.

Avez-vous l’impression que M. Joumblatt tient toujours le même discours politique sans y avoir apporté le moindre changement?
Je laisse à l’opinion publique, à la Presse et au ministre Joumblatt lui-même le soin de répondre à cette question, car tous l’écoutent comme moi et sont plus proches de lui pour pouvoir se faire une idée exacte de sa pensée.

Vous attendez-vous à atteindre la finalité du parcours avec le chef du PSP?
Il n’y a pas de sens à n’importe quelle tentative ou initiative qu’une personne entreprend, surtout si elle occupe une position de leadership, si elle n’est pas mue par la volonté de parvenir au terme de son action.
Cependant, pour aboutir, toute initiative requiert un certain nombre de facteurs et par le dialogue, on peut réaliser s’il est possible de surmonter les obstacles ou pas.

L’accord de Taëf a été agréé par M. Joumblatt alors que vous l’avez rejeté; comment est-il possible, dans ce cas, de concilier vos positions?
Dans tout dialogue, on ne peut commencer du point de divergence; ce qui importe, c’est la volonté des dialogueurs de parvenir à un accord autour des sujets débattus.

Quelles concessions pourriez-vous accorder, l’un à l’autre, pour favoriser votre rencontre autour de points communs?
Il n’y a pas de concessions à accorder de l’un en faveur de l’autre, car ce sur quoi nous tomberons d’accord profitera à tout le monde et non à une partie déterminée.

Les appels en faveur de votre retour au pays et de la libération du Dr Geagea ont été accueillis favorablement par certains milieux, alors que d’autres soutiennent que les deux affaires relèvent de la Justice. Qui devra trancher, en définitive, la Justice ou l’Autorité politique dans les deux cas? Et quelles accusations vous sont adressées?
Le gouvernement Hoss m’a accusé sans disposer d’aucune preuve ni d’aucun document, dépassant ainsi par ses décisions arbitraires toutes les lois et les attributions. Par la suite, l’administration qualifiée a effectué les investigations nécessaires et les juges ont recueilli la déposition de toutes les personnes qu’ils ont voulu interroger. En définitive, ils n’ont pu retenir aucun élément d’accusation justifiable. C’est pourquoi, ce gouvernement n’a rien trouvé pour engager des poursuites à mon encontre. Il a donc utilisé cette affaire dans un but de diffamation et de chantage. S’il existait au Liban une Justice indépendante, l’Etat aurait payé cher le prix du ravalement de ses responsables jusqu’à un tel niveau.
Le fait pour les responsables de n’avoir pas donné suite aux prétendues accusations portées contre moi, prouve qu’ils ne disposent d’aucun dossier ni chef d’accusation et, partant, qu’il n’existe pas de Justice vraiment indépendante.

... Ni DE GOUVERNEMENT LIBANAIS AUTONOME
La présidence du Conseil “brûle” ces temps-ci quiconque en assume la charge: qu’auriez-vous à dire à ce sujet et quelqu’un est-il capable d’occuper la troisième présidence sans se brûler?
Le Liban n’a pas de gouvernement et l’administration libanaise reçoit ses ordres de l’administration syrienne. Par conséquent, tout gouvernement libanais restera de pure forme sans un accord avec Damas ramenant la liberté de décision à Beyrouth.

Certains membres du courant aouniste formulent des griefs quant aux structures de votre mouvement. Ce dernier risque-t-il de se désintégrer en votre absence?
Tout mouvement est soumis à des considérations déterminées et il est normal que les structures du “courant” ne donnent pas satisfaction à tous les membres, car ceux-ci ne sont pas informés des différents engagements qu’il a pris. Tout compte fait, le “courant” (aouniste) ne peut se désintégrer, parce que sa force réside dans ses options et non dans ses structures. S’il devait se désintégrer, il aurait disparu à la suite de dix années de répression, de menaces et de persécution. Le courant aouniste ne se disloquera pas et je reviendrai au moment opportun.
Concernant le dernier communiqué de Bkerké, le général Michel Aoun s’est abstenu de le commenter, préférant remettre à plus tard son jugement sur ce texte.
 

Propos recueillis par
SUZANNE HAÏDAMOUS ANDARI

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