Le
judoka Djamel Bouras, 29 ans, est un personnage peu ordinaire. Champion
olympique de judo (ceinture noire, 6e dan) aux Jeux Olympiques dAtlanta
en 1996, il a connu la gloire; puis, le désenchantement. En octobre
1997, suite à un test antidopage, il est contrôlé positif
à la Nandrolone, un produit interdit. Laffaire prend une certaine
ampleur, dautant que le sportif a toujours clamé son innocence.
Une contre-expertise est ordonnée : les chiffres varient. Djamel
Bouras aurait-il été dopé à son insu, son
métabolisme serait-il en mesure de produire de la Nandrolone ? Le
doute persiste, les avis sont partagés. Certains le considèrent
coupable, dautres pensent que la sanction est démesurée.
Djamel se voit retirer sa médaille et interdit de compétition.
Décembre 1997, la Fédération française de judo
estimant que le doute est permis, donne quatre mois au judoka pour apporter les
preuves de son innocence. Djamel poursuit son combat pour la
vérité. Aujourdhui, la justice na toujours pas
tranché, mais pour Djamel Bouras, laffaire nest pas
terminée, car le préjudice moral et financier est important. Le
judoka a depuis repris sa médaille et la compétition ; il
compte laver son honneur. Calme, réfléchi, Djamel Bouras a
énormément appris à se dominer dune part,
grâce à lart martial quil pratique, dautre part,
grâce à la foi, dont il se sent investi. Trop, diront certains.
Même si les origines modestes et la réussite par le sport sonnent
comme du déjà-vu, Djamel Bouras est un sportif atypique qui
bouscule volontiers certains clichés. Daucuns arguent que ce
nest pas son domaine de compétence, mais le judoka utilise sa
notoriété pour faire passer un message. Il déclare :
Je fais ce travail pour que plus tard ma progéniture nait
plus ce combat à faire contre la discrimination. Je ne veux pas oublier
mon identité, mes racines. Après laffaire de dopage,
cest plus récemment pour ses prises de position vigoureuses et
anti-sionistes quil a défrayé la chronique. Ambigu
Bouras ? Pas sûr, difficile à étiqueter plutôt.
Bien que certains médias laient volontairement labellisé
persona non grata; puis marginalisé, boycotté. Djamel ne crache
pas dans la soupe ; mais ceux qui sont susceptibles de la lui servir, exigent
un profil plus lisse. Bouras est un mauvais client. Pas un martyr, il
naccepterait pas lui-même cette appellation. Provocateur, certes,
mais pas gratuitement, rebelle avec une cause, il refuse de se faire broyer par
le système. Parano Djamel ? Qui sait ? Mais il ne joue pas un
rôle de gentil terré derrière une âme de
méchant. Il nest pas non plus méchant pour coller à
de quelconques poncifs. Certains aimeraient avoir plus de choses à lui
reprocher pour léclipser plus facilement, mais ces
opportunités sont rares. Fait-il des vagues pour faire parler de lui ?
Il existe dautres moyens de promotion plus lucratifs et plus sûrs.
Pas du genre à pleurer sur son sort, bien quil soit
contrairement à ce que lon pourrait croire peu enviable.
Djamel estime avoir trouvé la frontière à double tranchant
entre la religion de conviction et le fanatisme inutile et destructeur. Le
temps nous dira sil a fait les bons choix. Rencontre.
... et dédicace aux
peuples opprimés. |
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Victoire pour la
France... |
Parlez-nous de laffaire Nandrolone
Les
gens du sport, le ministère, les fédérations, tout le
monde sait que cest une aberration. Surtout à mon sujet, car dans
le judo, je suis le premier cas de soi-disant dopage à la Nandrolone.
Dans mon cas, cette drogue ne sert à rien. Si on a voulu me
piéger, il aurait fallu être plus malin et me faire prendre une
autre substance. La Nandrolone est un vieux produit qui date de 1957; il est en
vente libre et, surtout, cest un produit avec lequel on prend du poids.
Je mesure 1,85 et je pèse 84 kilos ; ma catégorie cest
81 kilos. Cest contradictoire puisque dans ma catégorie, je dois
perdre du poids (4 à 5 kilos).
Les examens ont pourtant
révélé la présence de Nandrolone dans votre
urine
Oui, cest bien ça.
Comment
expliquez-vous cela; est-il possible den absorber de manière
involontaire ? Absolument. Cest une longue histoire. Le
problème est quà ce taux-là, ils navaient pas
le droit de me condamner. Quelquun qui est soupçonné de
dopage à la Nandrolone, pour être condamné, doit être
entre 500 et 800 nanogrammes. Quand cette histoire mest tombée
dessus, jai dabord cru à un gag. Jen rigolais.
Jusquau jour où on ma sorti le papier de la condamnation.
Jai tout de suite pensé à un coup monté. Jai
fait mon enquête avec des médecins auprès de chercheurs
spécialisés dans la Nandrolone. Nous appelons le Docteur Wright,
chercheuse, qui nous déclare avoir entendu parler de mon affaire et
affirme quil sagit dune situation démesurée.
Pour que la Nandrolone fasse son soi-disant effet, elle doit être
présente entre 600 et 800 nanogrammes et non au taux
détecté chez moi. A ce moment-là, je me dis,
soulagé, quils ont commis une erreur et que laffaire serait
terminée. Une semaine plus tard, on rappelle cette même dame
endocrinologue et son discours est totalement différent. Elle a
viré de bord. Nous avons appris, par la suite, quelle avait des
attaches au ministère des Sports et aurait subi des pressions. Je peux
bien expliquer, mais Dieu seul est juge. Elle est grave cette histoire. Le
président de la lutte contre le dopage qui sappelle Gallien,
ma dit : Djamel, dis que tu as pris cette pommade qui
nest pas dans la liste. Je lui ai répondu : mais je ne
vais pas dire que jai pris de ce produit alors que je nai rien
pris ! Jaurais pu dire daccord et laffaire était
réglée. Ils se savaient coupables et il leur fallait quelque
chose pour se débarrasser de moi. Mais je ne vais pas abandonner.
Cest pour cela quils mont innocenté après
mavoir retiré mon titre. Cette période sans mon titre a
été difficile, puisque je repartais de zéro
nétant plus dans le classement mondial. Jai eu un an et demi
sans entraînement, jai refait un championnat du monde dans lequel
jai obtenu un très bon classement. Ils ont fait traîner
jusquaprès le championnat du monde pour me rendre ce titre
Si javais réellement menti, ils mauraient attaqué
depuis longtemps. La ministre de la Jeunesse et des Sports, Madame Marie-George
Buffet, ma dit personnellement : Je sais que vous navez
rien fait, mais je suis obligée
Jai un ami qui a
rencontré quelquun du ministère et lorsquil a
cité mon nom, on lui a répondu : Bouras, cest
une raison dEtat.
La couverture du
livre. |
Quelle en
serait la raison selon vous ? Le ministère a fait une
erreur. Ils allaient perdre une grosse somme dargent
là-dessus ; cest le Laboratoire de Chatenay-Malabry qui
serait discrédité. Ils ont préféré rester
sur leurs accusations. Le dopage est un problème dans les sports
à records comme : lathlétisme, le cyclisme, la
natation
Largent domine et change la donne. Le judo cest
encore un sport amateur. Le seul dopant cest le psychique, pour moi
cest la foi.
Serait-ce dû selon vous à vos
déclarations, vos prises de position et vos propos souvent
fermes ? Je suis musulman, chacun sa confession. Je vois
quil y a des injustices qui se passent envers les gens de ma
communauté. Je vois les Bosniaques qui se font massacrer et personne
nintervient ou encore en Tchétchénie ;
également au Liban-Sud quand les Israéliens tuent des civils par
centaines en réponse à quatre soldats israéliens
tués en mission par le Hezbollah. A cette période, en France,
tout le monde avait été solidaire avec Israël pour observer
une minute de silence et pour les musulmans, il ny avait rien eu du tout.
Je me suis dit : cest ça la vie ? Javais la rage.
Lorsque jai gagné les J.O. dAtlanta en 1996, en
détrônant Koga le Japonais, invaincu depuis dix ans dans
cette catégorie et qui avait été deuxième toutes
catégories confondues au Japon jignorais encore que
javais gagné. Il y avait des centaines de journalistes qui
mont demandé à qui je dédiais cette médaille
? Jai répondu : je dédie cette médaille au
monde musulman qui a souffert cette année, à la Bosnie, à
la Tchétchénie
aux opprimés.
Vous
sentez-vous investi dune mission ? Je fais mon chemin, ma
légende personnelle; jai mon histoire, mes parents dorigine
algérienne, mon enfance dans les cités. Je suis né
musulman et lorsquon suivait les événements à la
télévision qui reflétait un certain Islam, même
nous, étions apeurés. Après avoir perdu mon ami au Japon,
qui sest fait écraser par une voiture sous mes yeux, jai
commencé à me poser certaines questions
Jai
effectué quelques recherches et je me suis rendu compte que lIslam
était une belle religion. Jai beaucoup voyagé, jai
visité plus de quarante pays. Moi, à la différence
dun autre musulman, on me donne la parole, je suis connu, donc je me
dis : jai un devoir. Il y a certains moments où lon a
certaines réflexions : jai parfois pensé
quaprès le judo, je pourrai me marier, voyager, découvrir
dautres civilisations, avoir des enfants
Puis, jai
estimé avoir une obligation envers ma communauté. Javais
envie de dire : arrêtez de parler de lIslam comme si vous
parliez de pédophilie presque. On est quasiment un milliard cinq cent
millions de musulmans dans le monde, ce nest pas parce quil y a un
pourcentage dignorants qui sont manipulés que lon doit ne
montrer que ceux-là ! Pourquoi ne pas regarder vers les bons ?
Lorsque les médias interrogent des musulmans, ce sont toujours les
illettrés que lon tourne en ridicule
Le Point,
qui est un très bon hebdomadaire, titrait un jour en couverture :
Les Juifs français, les Arabes, lantisémitisme et
Israël. Ça ma choqué, jai eu
loccasion dêtre invité à une émission de
télévision et jai demandé des explications sous
prétexte que jétais un sportif bête. Que signifie :
les Juifs français, les Arabes
cest qui les Arabes ?
Car moi je suis arabe ou je suis français ? Je suis un
Français musulman ! Pour des sages, pour des théologiens,
les discours que je tiens sont peut-être polémiques, mais les gens
vous donnent des conseils et pensent quil faut faire ceci ou cela. Je ne
suis pas une tête de mule. On me propose parfois des émissions,
dont certaines que jai refusées car je me dis : jai
déjà une certaine étiquette ; normalement, ce
nest pas à moi de le faire et si je parle de lIslam,
cest quon a sali mon Islam; si je parle de mes origines, cest
quon a sali mes origines. Si cest pour aller sur un plateau de
télévision et approuver tout ce quils disent en ricanant,
je préfère rester à la maison. Jai de quoi
moccuper, je vais faire mon sport, jemmène ma fille en
promenade
Je me suis dit il y a urgence : lIslam est
constamment sali en France, on na aucun poids ! La résistance
du Hezbollah au Liban-Sud, ce nest pas du terrorisme, si on me dit que je
suis un intégriste, je réponds est-ce que les résistants
français qui ont combattu les Allemands pendant la Seconde Guerre
mondiale étaient des intégristes ? Ils défendent leur
territoire. Lerreur du Premier ministre Lionel Jospin (qui a
qualifié le Hezbollah dorganisation terroriste), nen
était pas une ; cétait calculé
Ne
craignez-vous pas que vos déclarations vous fassent passer pour un
intolérant vis-à-vis de la communauté juive de
France ? Je respecte toutes les religions, à partir du
moment où ce respect est mutuel. Il peut y avoir des malentendus, des
insultes, ceci nest pas grave ; ce qui lest, cest lorsque je
vais chez quelquun et que je lui dis comme cest le cas
en Palestine : la moitié de chez toi, cest à
moi !
L'une des nombreuses
calligraphies qui ornent Combat vers la lumière. Ici :
La terre est ma patrie et l'humanité ma famille, de Khalil
Gebrane. |
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Cest le temps où
tout va bien. Djamel, à gauche, lors dun défilé de
mode. |
Estimez-vous être boycotté par certains
médias en France ? Je pense être boycotté par
certains médias contrôlés par les sionistes; je ne dis pas
les juifs, mais bien les sionistes, comme il convient de faire la
différence entre musulmans et islamistes.
Regrettez-vous
quà linstar du football, le judo ne soit pas suffisamment
médiatisé et pas suffisamment rentable ? Le sport
cest quelque chose déphémère. On donne
tellement, on ramène des médailles, on fait parler de nos pays,
les drapeaux se lèvent
et on na pas assez de reconnaissance
pour laprès. Il serait bon de pouvoir obtenir des diplômes
de professorat de sport pour lavenir. Le football est un sport
médiatique, où lon est effectivement mieux payé. On
peut faire beaucoup de choses dans la vie, moi je me suis
intéressé à lIslam et jai envie de savoir,
jai des réponses à certaines affirmations : quand on
me dit que je suis antisémite, je réponds que non, car nous avons
la même descendance. Jaime bien ces armes. Je ne sais pas
grand-chose, mais un minimum ; jessaie de grandir et comme on dit :
il faut trembler pour grandir et je pense que ces épreuves que jai
vécues me construisent doucement.
Vous avez écrit un
livre
Le livre, je lai écrit dans un but, disons,
autobiographique, bien que je sois trop jeune pour ce terme mais, par la suite,
jai vu quil y avait tellement de journalistes qui transgresseraient
mes propos, jai décidé de mettre ma vérité
noir sur blanc. Un journaliste de lEquipe a écrit à
plusieurs reprises des propos diffamatoires à mon sujet. Je nai
pas réagi, mais lorsquil publie une soi-disant reproduction
dun article fictif, qui contient cette phrase : Bouras,
islamiste, a allumé la mèche... Je prends un avocat et
décide de les attaquer. Ils nous appellent pour sarranger, je
refuse. En juillet-août, cétaient les vacances judiciaires,
mon avocat mappelle en septembre et me dit quon ne peut plus les
attaquer car une nouvelle loi venait dêtre appliquée, je
comprends quils ont acheté cet avocat. Je me rends donc dans les
bureaux de lEquipe, le lundi 20 octobre 1997, jy rencontre
lauteur de larticle et lui dit : Alors comme ça
je suis un islamiste ? Vous savez ce que cest un
islamiste ? Il me répond : Eh ! bien quoi,
cest un musulman. Je lui dis : Un islamiste cest
celui qui égorge les enfants, celui qui pose des bombes, qui tue des
gens
je suis un islamiste moi ? Il se confond en excuses et me
propose un mea culpa. Je lui ai dit : Moi je vous pardonne, mais ne
recommencez plus.
Que pensez-vous des critiques émises
à légard de Marie-José Perrec qui a quitté
les J.O. de Sydney suite à des menaces ? Maintenant que je
connais certains médias, je préfère mapprocher des
gens quon massacre, plutôt que de ceux que lon glorifie,
parce que ceux à qui on veut nuire sont peut-être ceux qui
dérangent et qui parlent, qui ne sont pas des moutons. |