Enjeu de la présidentielle de 1988, laffaire
de la libération des otages français du
Liban est curieusement entrée en ligne à
quelques mois de la présidentielle davril-mai
2002. Aussi, fait-on nécessairement le lien entre
le timing de cette bombe à retardement
politico-judiciaire et les personnes quelle met
en cause. Les fils en sont si emmêlés,
les révélations si contradictoires, les
passions si exacerbées quil y devient difficile
de faire la part de la vérité.

Le 5 mai 1988, à Villacoublay, les otages
français sont accueillis par Chirac, Premier
ministre et Pasqua, ministre de lIntérieur.
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La question essentielle est de savoir si, oui ou non,
il y a eu rançon lors de la libération,
le 4 mai 1988, des trois derniers otages français
(onze Français avaient été détenus
entre 1985 et 1988 par le Jihad islamique et lOrganisation
de la justice révolutionnaire), les diplomates
Marcel Fontaine, Marcel Carton et le journaliste Jean-Paul
Kauffman, entre les deux tours de la présidentielle.
Cette libération avait pris une allure politique
sans finalement influencer le scrutin qui a donné
la victoire à François Mitterrand contre
Jacques Chirac, alors Premier ministre (1986-1988).
Dans léquipe de celui-ci, Edouard Balladur
détenait le portefeuille de lEconomie et
Charles Pasqua celui de lIntérieur. Cest
donc à Pasqua que revint la lourde tâche
dobtenir la libération échelonnée
entre 1986 et 1988 des otages français. Celui-ci
en confiera la responsabilité à son bras
droit, Jean-Charles Marchiani, en charge de la lutte
antiterroriste à lextérieur du pays,
aujourdhui député européen.
Pour sortir ses compatriotes français des geôles
du Hezbollah, Marchiani utilise ses relations et fait
appel à son ami Iskandar Safa, riche homme daffaires
libanais résidant en France depuis 1981 et à
la tête de sociétés créant
plus de mille emplois, pour remonter, à travers
la filière du Hezbollah, jusquaux commanditaires
iraniens des enlèvements. Iskandar Safa use,
alors, de son influence et de ses connaissances auprès
des chiites, des Syriens et des Iraniens, sans chercher
aucune publicité ou tirer un profit quelconque,
comme il le soutiendra dans une interview accordée
au journal Le Monde. La seule chose
que jaie détournée, cest mon
temps pendant un an.
La question qui se pose actuellement : Y a-t-il eu oui
non une rançon payée en contrepartie de
la libération des otages? Et si cette rançon
avait été versée, a-t-elle été
partiellement détournée en faveur des
intermédiaires-négociateurs?
Selon lEst républicain, le
contrôleur général de la police,
Jean-Jacques Martini a transmis en janvier 2001, au
procureur de la République de Paris, Jean-Pierre
Dintilhac, un rapport dans lequel la Direction de la
surveillance du territoire (DST) signale le versement
régulier dargent en liquide, depuis plus
dune dizaine dannées, à partir
dun compte suisse dIskandar Safa, à
Charles Pasqua et Jean-Charles Marchiani. Cet argent
évalué à 3 millions de dollars,
représenterait une partie de la rançon
débloquée par lEtat français
et qui a été conservée par les
organisateurs de lopération.
A la suite de ce rapport, le parquet de Paris a décidé
douvrir une enquête préliminaire
en janvier 2001. Puis, une information judiciaire était
confiée au juge Isabelle Prévost-Desprez
avec laquelle Charles Pasqua avait déjà
eu maille à partir au sujet de la vente darmes
à lAngola. Laffaire suit son cours.
Elle aboutit, le 21 décembre, à la mise
en examen de Christiane Marchiani, épouse de
Jean-Charles Marchiani et Marie-Danièle Faure,
proche collaboratrice de Pasqua, pour recel de
trafic dinfluence aggravé et pour
recel de blanchiment dargent aggravé
et qui sont soupçonnées davoir bénéficié
de largent de la rançon détourné.
De plus, Al Sayed, le chauffeur dIskandar Safa
et le collaborateur de celui-ci, Nagib Schbuer ont été
mis en examen pour complicité de trafic
dinfluence aggravé. Laffaire
prenait une nouvelle tournure avec le lancement, le
28 décembre 2001, dun mandat darrêt
international contre Iskandar Safa, pour ne pas
avoir déféré le 17 décembre
2001 à une convocation de la brigade financière.
Ayant quitté le 8 décembre Paris à
destination du Golfe où son groupe finalise un
important contrat aux Emirats arabes unis concernant
une société française dont il est
lactionnaire majoritaire, Iskandar Safa
entend ne pas se dérober à la justice,
mais également, comme lannonce son avocat
à Beyrouth Me Maroun Haddad, porter plainte en
diffamation. Il refuse, en outre, de lier son obtention
de la nationalité française en 1999 aux
services rendus pour la libération des otages.
Quant à Charles Pasqua qui nen a pas fini
de ses démêlés avec la justice,
il a nié lexistence de toute rançon,
se disant convaincu que cette manipulation ne
part pas du ministère de lIntérieur,
mais de Matignon où a été constitué
un véritable cabinet noir.
LElysée, enfin, est sorti de son silence
et a nié lexistence de toute rançon.
Par la voix du sénateur Maurice Ulrich, ancien
directeur du cabinet de Chirac et actuel conseiller
du chef de lEtat français, il a rectifié
que les libérations ont été
le résultat de négociations avec tous
les Etats et tous ceux, notamment religieux, qui pouvaient
avoir une influence sur les ravisseurs. Elles nont
pas donné lieu à des rançons.
Au niveau des otages, les opinions divergent. Pour le
journaliste Roger Auque, la France na pas versé
de rançon. Je ne pense pas, a-t-il déclaré
dans une interview au Figaro, que les négociateurs
Marchiani et Safa aient rempli cette mission pour de
largent. Pour moi, cette affaire nest quune
manière de mouiller Chirac. Derrière cette
note qui atterrit chez un juge, il y a forcément
une manipulation.
Quant à larchitecte Michel Cantal-Dupart,
fondateur dun comité de soutien au journaliste-otage
Jean-Paul Kauffmann, LEtat français
na peut-être pas versé directement
de largent aux ravisseurs du Hezbollah, mais quelquun
a bien dû payer pour la France. La seule
chose qui compte et qui soit miraculeuse, cest
que cela sest fait dans lhonneur a-t-il
confié à son tour au Figaro.
Le plus curieux dans cette affaire, cest quelle
ait été lancée quinze ans plus
tard, en pleine campagne législative et présidentielle,
remuant les cendres dun passé pénible
et révolu que tous voudraient éliminer
de leur mémoire.
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