Addoum espère un épilogue rapide de l'enquête
sur l'assassinat de Ramzi Irani Le fil conducteur
Par Nelly HÉLOU

Comment ne pas se révolter et s’émouvoir face à la fin dramatique de l’ingénieur Ramzi Irani (36 ans), époux, père de famille, fils, frère attentif et affectueux, un être exceptionnel et charismatique, selon le témoignage de tous ceux qui l’ont connu (voir “La Revue du Liban” - NÞ3845 - du 18 au 25 mai 2002). Un visage souriant, un militant ouvert au dialogue, un être profondément croyant, loin de tout fanatisme ou sectarisme, il voyait toujours le bon côté des choses et se croyait en sécurité.
Que dira-t-on, plus tard, à ses deux enfants: Yasmina (5 ans) et Jad (2 ans et demi): votre père a été enlevé; puis, lâchement tué parce qu’il aimait trop le Liban, était épris de liberté, de justice et rêvait d’un pays souverain et indépendant?
Qui donc a enlevé; puis, liquidé le responsable estudiantin au sein des Forces libanaises? A qui profite le crime? Quel message cherche-t-on à transmettre? Faire taire les Libanais, jeunes et moins jeunes qui, comme Ramzi Irani, croient ferme en ce pays et ont choisi d’y demeurer, de faire entendre leur voix?
Le message est arrivé! Il ne fera que renforcer la détermination de ceux qui ont fait leur choix et devra souder davantage les Libanais de tout bord et de toute communauté. Plus de 3000 personnes ont participé aux funérailles de Ramzi.

photo
  photo

photo
La douleur indescriptible de la mère et de la veuve éplorées.

Enlevé le 7 mai vers 17 heures, au cœur de Beyrouth, alors qu’il quittait son lieu de travail chez Total, sis à la rue Clemenceau, il a été retrouvé le lundi 14 mai en fin d’après-midi inerte et en décomposition, dans le coffre de sa voiture à la rue Caracas, toujours à l’ouest de la capitale.
Durant quatorze jours, son épouse, ses enfants, sa mère, son frère, sa sœur, ses proches, ses amis, les jeunes avec qui il était en contact direct, ses collègues et tout Libanais épris de liberté et des valeurs démocratiques, ont espéré que le jeune ingénieur serait rendu aux siens.
Tous les responsables contactés par la famille Irani ont promis qu’ils s’impliquaient en personne dans cette affaire. Et voilà le résultat!
Lundi soir, un poignant cri de douleur a empli le ciel d’Achrafieh s’élevant du domicile des Irani, lorsque la triste et odieuse nouvelle est arrivée. Les proches, les amis, les étudiants ont accouru sur place clamant leur peine et leur douleur. Sur leur petit écran, les Libanais ont vu l’impact du crime dans toute sa laideur.

photo
Les émouvants adieux de Jocelyne à son époux.

photo
Jocelyne, Yasmina et Jad: surmonter l’épreuve et réapprendre à vivre.

ABATTU DE DEUX BALLES
Selon le rapport du médecin-légiste, Ramzi Irani a été abattu de deux balles, l’une à la poitrine et l’autre au cœur. Le corps ne portait pas de traces de torture et le déçès remontait à cinq ou sept jours.
Les effets personnels de la victime qui se trouvaient dans la voiture, dont le chéquier, les cartes de crédit et la médaille en or qu’il portait au cou n’ont pas été volés. La V.W. Polo noire et le cadavre ont été trouvés à Caracas, grâce à une femme habitant le secteur et qui, frappée par la forte odeur qui se dégageait du véhicule et le liquide noir qui coulait sur la chaussée, a donné l’alerte.
La Polo était recouverte de poussière, ce qui indique qu’elle était dans un sous-sol et n’a été placée dans la rue que 48 heures, tout au plus, avant sa découverte. Auparavant, il avait plu et on en aurait vu les traces sur la voiture. Le véhicule a été conduit au palais de Justice où un généticien a été chargé de relever des traces pouvant déterminer l’ADN de la personne qui l’a conduite. Il est regrettable, par ailleurs, que l’officier qui a supervisé les premières investigations à Caracas, ait brisé la vitre du côté du conducteur pour fouiller le véhicule. Cette vitre pouvait porter des empreintes digitales importantes pour l’enquête.

photo
Porté à bout de bras par ses camarades.

photo
Des milliers de personnes rendant l’ultime hommage à Ramzi.

JOYCE IRANI: D’AUTRES MARTYRS TOMBERONT
Mardi 21 mai, la famille Irani recevait les condoléances au salon de l’église Mar Takla, dans le secteur du même nom à Hazmieh et ce fut tout au long de la journée une affluence incroyable. Personnalités politiques, amis, proches, collègues, militants F.L., employés de “Total” sont venus partager une même douleur et exprimer leur indignation face à cet acte barbare et incompréhensible.
Jocelyne, l’épouse de Ramzi retient mal sa douleur, sa révolte et clame: “Je sens, dit-elle, que si je ne parle pas aujourd’hui, Ramzi sera mort pour rien.
“Depuis quatorze jours on priait qu’il nous revienne sain et sauf. Ils nous ont promis que chacun travaillait personnellement sur cette affaire, au point qu’ils nous ont rendu Ramzi, sans vie. Ramzi est un martyr de la liberté et de la paix. Je ne veux rien dire de plus aujourd’hui. Enterrons nos morts. Mais après lui, il y aura 2, 3, 1000, un million de Ramzi. Sa cause a commencé”.
Nayla, sa jeune sœur demande que l’enquête se poursuive: ”Nous attendons des réponses et ils sont obligés de nous les donner. Ramzi est mort en martyr, mais nous voulons savoir qui l’a tué et pourquoi? L’Etat a des services de renseignements forts sur lesquels beaucoup d’argent est dépensé. Pour cela, nous demandons une réponse. Car nous vivons, dit-on, dans un pays démocratique”.
Elle s’insurge, aussi, contre toutes les rumeurs surtout celles concernant la vie personnelle du jeune ingénieur pour brouiller les pistes.
“Quoi qu’ils disent, nul ne pourra entacher sa mémoire”.
Aimée, sa mère éplorée à qui je présentais les condoléances me dit: “Après votre interview, on vous a promis que vous feriez la connaissance de Ramzi dont on vous a longuement parlé. Voyez où nous en sommes!...”.

DES FUNÉRAILLES ÉMOUVANTES ET IMPOSANTES
Du début de la rue menant à l’église Mar Takla, le cercueil blanc est porté à bout de bras par les jeunes des Forces Libanaises, au milieu des pleurs, des cris, des applaudissements, des chants patriotiques, des couronnes de fleurs, des fanions F.L., des banderoles dénonçant ce crime abject. L’émotion est vive. Face au cercueil, les jeunes des F.L. prêtent serment de fidélité.
L’église est archicomble. Représentant S.Em. le cardinal Sfeir, Mgr Roland Abou-Jaoudé, vicaire-patriarcal, préside l’office funèbre, assisté de l’archevêque de Beyrouth, Mgr Boulos Matar et de nombreux membres du clergé.
M. Fady Comair, directeur général des Ressources hydrauliques et électriques, représente le chef de l’Etat. Aux premiers rangs de l’assistance, ont pris place plusieurs ministres, députés, personnalités politiques, sociales et religieuses... Sont, également présents: le président Amine Gemayel, Mmes Sethrida Geagea et Gina Hobeika - dont le mari Elie Hobeika a été assassiné, quatre mois auparavant et ses funérailles ont eu lieu dans la même église -, les membres de Kornet Chehwan et une foule de proches, d’amis et de collègues...
Des délégations sont venues de Zahlé et de la région de Bécharré. Il y a autant de monde à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’église.
Le message patriarcal, lu par Mgr Youssef Tok, dénonce l’odieux crime “qui a ébranlé les Libanais” et demande aux autorités “de découvrir les auteurs et leurs mobiles, de leur infliger les châtiments les plus durs par pitié pour les Libanais qui aspirent à vivre en paix. Afin qu’ils conservent un peu de cette confiance qu’ils ont placée dans l’Etat.

photo

photo
Des jeunes exprimant leur colère et leur solidarité
en portant des portraits de Ramzi ou des couronnes de fleurs.

L’ÂME PURE DE RAMZI EST AU CIEL
Le mot de la famille est prononcé par le Dr Nabil Irani, frère de la victime. “Je reconnais, dit-il, que l’âme pure de Ramzi a commis quatre crimes et je les partage avec lui:
1) sa foi en Dieu,
2) la fondation d’une famille,
3) le refus d’émigrer,
4) son engagement pour une cause en laquelle il a cru.
“Je mets en garde contre toute tentative d’occulter ou de déformer le mobile de cet odieux meurtre. (...) Je crains, cher Ramzi, que le mystère de ton enlèvement soit mort avec toi et enterré à jamais. (...) Mais sois sûr que je dirais à Yasmina et à Jad: Ramzi, votre père, est un héros, un martyr, son âme pure est au ciel.”

A l’extérieur de l’église, les membres des F.L. disent un ultime adieu à Ramzi et le responsable de la section estudiantine, Selmane Samaha, clame: “Face aux martyrs, les larmes sont interdites. Le message est arrivé. Ils veulent nous faire peur et nous contraindre à partir... Nos poitrines sont ouvertes aux balles et à la mort pour que vive le Liban.”
Le corps devait être inhumé au caveau de la famille à Hazmieh.

FERMETURE ET SIT-IN
En signe de deuil, le jour des funérailles, “les sections II” de l’UL ont fermé leurs portes, de même que les universités de Kaslik, Balamand, Louaizé, La Sagesse, Antonine où des sit-in ont été organisés pour dénoncer le crime et demander aux responsables de mener l’enquête jusqu’au bout. Les écoles catholiques ont suspendu les cours durant une heure.
L’Ordre des ingénieurs a observé une grève totale sur l’ensemble du territoire libanais et la société “Total”, où travaillait Ramzi comme ingénieur, a fermé ses bureaux et ses installations. Les autres Ordres professionnels ont observé une grève de deux heures.
A Bécharré, la fermeture était totale et on a sonné le glas. Des sit-in ont eu lieu dans plusieurs écoles à Zahlé. Toutes les déclarations ont dénoncé le crime et appelé les services sécuritaires à l’élucider.

photo
Des jeunes filles en pleurs devant l’église Mar Takla.

photo
A sa dernière demeure.

L’ENQUÊTE SE POURSUIT
La liquidation de Ramzi Irani après sa séquestration, va-t-elle pousser la Justice libanaise à tirer au clair ce drame, ou bien son dossier rejoindra-t-il ceux des quatre magistrats tués à Saïda, ou d’Elie Hobeika, ancien ministre et député tué devant son domicile à Hazmieh?
Durant les quatorze jours qui ont suivi l’enlèvement de l’ingénieur Irani, l’enquête semblait piétiner. Certains faits sont même troublants. Quelques jours après la disparition de Ramzi, un homme est venu dire qu’il a été le témoin oculaire de son enlèvement à Clemenceau et a donné des détails. Mais les enquêteurs ne semblent pas avoir pris au sérieux son témoignage. Pourquoi?
Dès l’annonce de la mort, le Conseil central de sécurité s’est réuni sous la présidence de M. Elias Murr, ministre de l’Intérieur et a décidé de constituer un comité spécial groupant des représentants de tous les services sécuritaires pour mener à terme cette affaire.
Présidé par le chef de la brigade criminelle, le général Ibrahim Jabbour, le comité a tenu une première réunion et Adnane Addoum, procureur général près la Cour de cassation, a déclaré en fin de réunion: “Tout indique que nous allons pouvoir avancer. L’enquête sera entourée du plus grand secret mais aucune conclusion n’en restera secrète.”
Pour rendre justice à Ramzi Irani, à sa famille et aux Libanais, espérons que l’enquête fera toute la lumière sur ce drame.

Editions Speciales Numéros Précédents Contacts Recherche Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3846 - Du 25 Mai Au 1er Juin 2002