“Le Mousquetaire” entre les mains, on est quelque peu désorienté et on se demande quel intérêt peut représenter Alphonse Galland, plus connu sous le pseudonyme de “Zo d’Axa” (en grec “je vis” en “mordant”) pour qu’Alexandre Najjar, écrivain reconnu, avec déjà une œuvre impressionnante pour ses jeunes années, en retrace la biographie. La réponse vient avec la lecture du livre, page après page et qu’on ne lâche qu’à la dernière ligne. Car “ce fanatique de la liberté”, ce pamphlétaire inclassable à la plume incisive, finit par nous séduire en abordant des situations étrangement semblables aux nôtres.
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Le Monde, Le Point, le Magazine littéraire ne s’y sont pas trompés et ont salué le mérite de cet écrivain de chez nous, parvenu à ressusciter une figure qui méritait d’être réhabilitée. “En consacrant une biographie à Zo d’Axa (édité chez Balland), le parti pris est clair: faire connaître un personnage d’exception tombé dans l’oubli; réparer l’erreur de certains essayistes que le mot “anarchie” horripile et qui ont jugé bon de mettre en quarantaine l’un des plus grands pamphlétaires du XIXème siècle”, explique Alexandre Najjar.
Tout à l’opposé d’Ernest Pinard le procureur de l’Empire, censeur acharné (dont l’auteur a également écrit la biographie, illustrant sa passion du XIXème siècle), cet “anarchiste hors de l’anarchie” avait séduit une pléiade d’écrivains notoires qui avaient gravité autour de ses publications “L’Endehors” et “La feuille” et apprécié son livre “De Mazas” à Jérusalem. Clémenceau lui donna le surnom de mousquetaire rouge “qui, après avoir nargué de l’Europe à l’Asie, juges, policiers, gendarmes, ministres même, finit par nous avouer tout bas qu’il n’est pas anarchiste, parce que le mot lui-même est encore un classement”.
Ayant partagé sa vie entre les séjours en prison, l’exil, les voyages sur tous les continents, Zo d’Axa reste fidèle à sa devise: ne pas se taire. “Se taire, s’insurge-t-il! Rester inerte lorsque, sous nos yeux, des infamies se commettent, lorsque les maîtres supplicient les esclaves, lorsque les magistrats frappent des innocents; désarmer en un mot, tant que cette société sévit - jamais! Nous ne serions plus nous-mêmes. Et nous avons la fierté de vouloir garder notre plume prompte. Les gouvernements, tour à tour, peuvent nous faire comparer leurs geôles. Nous sommes les incorrigibles que toute répression éperonne. Au sortir de la prison, nous sommes prêts pour les récidives. Chassés d’ici, nous irons là. Le monde est grand”.
“On naît libre, écrit Alexandre Najjar. La liberté est une nature, une aptitude, une prédisposition. Il est des hommes, des peuples mêmes, qui se complaisent dans l’asservissement, dont l’histoire, jamais, n’a connu la révolte, comme si cette faculté de refuser l’ordre établi et l’humiliation n’entrait pas dans leur caractère, dans leur tradition. Puis, il y a les autres, ceux qui n’acceptent rien; ni les carcans, ni les entraves, ni Dieu, ni maître, qui ne tolèrent aucune servitude: les insoumis. Zo d’Axa fut de ceux-là”. “Endehors”, journal bi-hebdomadaire publiant des “articles satiriques, engagés, à caractère politique, social, voire artistique”, fera l’objet de poursuites judiciaires, pour être définitivement suspendu. Naturellement, Zo d’Axa va fustiger “les commissaires et les substituts (qui) n’ont, il faut le reconnaître, qu’une responsabilité relative. Tous les abus de pouvoir, toutes les vilenies qui constituent leurs quotidiennes besognes, leur sont, en effet, indiqués par le faux-noble préposé aux vengeances du gouvernement. Eux, ils ne sont que les très humbles valets ne discutant jamais. C’est dans leur sang. Prédestinés à l’esclavage et aux coups de pied quelque part, ils eussent été Paillasse à la foire - ils sont magistrats à la cour”.
A l’occasion des élections de 1898, il met en garde ses concitoyens. “Citoyens, s’insurge-t-il, on vous trompe. On vous dit que la Chambre composée d’imbéciles et de filous ne représentait pas la majorité des électeurs. C’est faux. Une Chambre composée de députés jocrisses et de députés truqueurs représente, au contraire, à merveille les électeurs que vous êtes. Ne protestez pas: une nation a les délégués qu’elle mérite”.
Enfin, Zo d’Axa (1864-1930), fatigué de vivre, de lutter, de bourlinguer à travers le monde, entreprend “son dernier voyage” et se tire une balle dans la tête. “Mais Zo d’Axa est toujours présent, conclut Alexandre Najjar, là où la liberté est malmenée, là où les droits des miséreux sont bafoués, là où les bruits de bottes résonnent, là où les magistrats déshonorent la Justice. Il suffit de fermer les yeux pour l’imaginer, coiffé de son chapeau de feutre et affublé de sa cape rejetée sur son épaule, prêt à pourfendre l’agresseur d’un coup d’épée ou de plume”.
Entre deux livres grand public: Gebran (édité chez Pygmalion en 2002 et traduit dans quatre langues) et un roman sur le Liban au XXème siècle qui paraîtra l’an prochain, Alexandre Najjar a placé son Mousquetaire qui sera présenté le vendredi 12 mars, dans le cadre du Festival du livre d’Antélias. |