En ce moment, l’affaire qui bouleverse l’opinion publique française, est celle qui met en cause le Préfet Jean-Charles Marchiani, ancien responsable au sein des services français à qui la France doit, entre autres,
la libération de ses otages au Liban.
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Le 20 juillet dernier, Jean-Charles Marchiani, battu aux élections européennes, a perdu son immunité parlementaire. Dès lors, il a été convoqué par le juge d’instruction Philippe Couroye, le 2 août, qui l’a mis en examen dans trois affaires qui lui ont valu autant de mandats de dépôt. Depuis, il est incarcéré à la Maison d’arrêt de Paris – la Santé. Cette incarcération, dans le cadre d’une détention provisoire, a été révélée par les médias à partir du 19 juillet dernier, bien avant l’audition de Marchiani par le juge chargé de l’enquête. Parmi ces trois affaires pour lesquelles il est mis en examen (les deux premières s’agissant de “recel d’abus de biens sociaux” dans l’enquête sur l’attribution d’un marché passé au début des années 1990 avec Aéroports de Paris et de “trafic d’influence par personne dépositaire de l’autorité publique” dans le dossier portant sur le contrat conclu entre une société allemande et le ministère de la Défense, pour l’équipement de chars d’assaut Leclerc), nous mettons l’accent sur celle qui a a trait à la libération des otages du Liban, en 1988. En effet, Monsieur Marchiani est accusé d’avoir détourné à son profit la rançon (ou une partie de cette rançon) qu’aurait versée l’Etat français afin de libérer les otages du Liban. Autrement dit, il avait réussi à libérer ces derniers sans payer de rançon à leurs ravisseurs ou en leur payant une partie.
D’abord, faut-il rappeler les circonstances dans lesquelles ces otages ont-ils été libérés et la manière dont Jean-Charles Marchiani a mis sa vie en péril pour sauver l’honneur de la France. Cette opération spectaculaire avait surpris l’opinion publique internationales d’autant qu’à l’époque l’émissaire britannique, Terry Waite, s’est trouvé lui-même pris en otage alors qu’il tentait de négocier avec les ravisseurs.
Nonobstant la curiosité relevée à l’égard de l’évocation de ces faits qui remontent à 1987 et 1988 et qui donc, conformément au droit français, sont prescrits, Jean-Charles Marchiani est mis en détention provisoire jusqu’à nouvel ordre. Mais ce dossier surprend l’opinion publique, y compris les anciens otages qu’il avait libérés au Liban. Sa détention est justifiée, par l’évocation des motifs de crainte de tentative de concertation et un trouble manifeste et continu de l’ordre public. Notons que, par décret du 26 juillet 2004, signé par le président de la République, Jean-Charles Marchiani a été renommé préfet de la République.
A l’instar de Roger Auque et de Jean- Paul Kauffman (libéré en 1988) qui ont apporté des témoignages à la presse française à l’occasion de la mise en examen et l’incarcération de Jean-Charles Marchiani, Jean-Louis Normandin, ancien otage au Liban libéré en 1987, accepte pour la première fois d’accorder un entretien. Nous recueillons ci-après l’exclusivité de ses propos.
Comment expliquez-vous le fait que 17 ans après votre libération et celle des autres otages détenus comme vous au Liban, cette affaire revient avec la mise en examen de Monsieur Jean-Charles Marchiani?
C’est la justice qui a permis d’y revenir. Je n’ai pas de réponse quant aux dessous politiques de cette affaire. Je ne suis pas un spécialiste politique ou géopolitique. Je ne peux que vous apporter un témoignage d’un simple citoyen français qui a eu la bonne ou la malchance d’avoir été pris en otage au Liban pendant la guerre qui a déchiré ce pays. En quittant ma “casquette” de journaliste et en m’exprimant en pur citoyen, je me poserai la même question que vous : Pourquoi Jean-Charles Marchiani? Pourquoi ce retour à cette affaire en ce moment? Je pense qu’il s’agit là d’un jeu de notre démocratie, d’autant que Monsieur Marchiani n’a plus d’immunité parlementaire depuis le 20 juillet dernier. Il s’agit peut-être de règlement de comptes : une volonté de finir avec un clan, une formation politique (celle de Charles Pasqua)… C’est ainsi que Jean-Charles Marchiani est en train de payer les pots cassés. Il me rappelle la situation du joueur bordelais de football, Rool, lors du dernier championnat français : au moindre geste l’arbitre lui remet un carton jaune, car il est connu pour son tempérament. De même, Jean-Charles Marchiani qualifié d’“homme de l’ombre”, d’“homme des coups tordus”, est victime de cette image qu’on fait de lui ainsi que de son tempérament. Il est ainsi visé pour le moindre geste et le moindre agissement.
Connaissiez-vous Jean-Charles Marchiani avant cette affaire?
Je l’ai rencontré pour la première fois, le jour de ma libération, le 27 novembre 1987. Il était la première personne qui m’a pris à bras le corps, au milieu de plusieurs personnes de différents services secrets libanais, syriens et d’autres nationalités. Il m’a kidnappé, m’a pris dans sa voiture pour me libérer. Il avait un côté protecteur, paternel et rassurant.

Arrivée de Jean-Louis Normandin à Orly en compagnie
de Charles Pasqua, le 28 novembre 1987.
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Vous êtes certainement au courant de l’existence d’une rançon servant à la libération des otages dont vous faisiez partie…
Disons plutôt de fonds – il y en a eu certainement en Suisse – servant aux différentes opérations…
Oui, mais nous reprenons ici ce qui a été rapporté à l’époque et en ce moment par les médias, mais aussi par une note de la DST qui parle de “rançon”. Qu’en dites-vous?
Je ne suis pas dans les coulisses. Je ne peux, comme je vous l’ai indiqué, que vous exposer mes sentiments en tant qu’un simple citoyen français qui a été emprisonné pendant 21 mois, enchaîné, entre la vie et la mort. Je ne sais pas si ma libération a été négociée pour une somme d’argent et je ne sais pas ce que vaut ma vie. Je sais néanmoins une chose : que les otages français ont été les premiers à sortir des geôles du Liban, tandis que les Russes et les Anglais ont été exécutés et que les Américains ont mis sept ans pour être libérés. Je sais aussi que grâce au talent de Jean-Charles Marchiani, cette libération a eu lieu d’abord en 1987, ensuite en 1988. Il y a eu certainement des négociations pour obtenir ces libérations. Je ne sais par quels moyens la France a-t-elle pu réussir à le faire. Mais il s’agit là d’une raison d’Etat. Je pense qu’on ne peut pas tout dire… En ce qui me concerne, j’ignorais tout de la façon dont ma libération a été effectuée. J’étais coupé du monde pensant 21 mois. Quand je suis sorti du Liban, j’ignorais tout sur l’actualité : je ne savais pas ce qui s’était passé à Tchernobyl, je ne savais pas que Coluche était mort…
Qui étaient vos ravisseurs?
J’ai été kidnappé par l’Organisation de la Justice Révolutionnaire. Ensuite, c’est le Jihad islamique qui a revendiqué officiellement cet enlèvement. Pour ma part, je n’avais aucun contact avec mes ravisseurs. J’avais les yeux bandés et n’avais aucune communication avec eux. Je survivais jusqu’à ma libération en 1987. Je me souviens du jour de ma libération : on m’a demandé de me raser et l’on m’a restitué mes vêtements. L’un des gardiens avec lequel j’avais une relation affective m’a informé que j’allais être libéré. Je ne l’ai cru que le moment où je me suis trouvé dans les bras de Jean-Charles Marchiani.
Jean-Charles Marchiani est né le 6 août 1943 à Bastia (Corse). Il est marié le 22 juillet 1971 avec Christiane Fichot (médecin). Il est père de deux enfants. Il a fait des études de droit à l’université d’Aix-en-Provence et à l’université de Paris I. Diplômé d’études supérieures de droit public (1967) et d’études approfondies d’administration publique (1974), il a exercé diverses fonctions de direction dans différentes entreprises (1970-1985) : délégué au Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (1967-1970) ; auditeur à l’Institut des hautes études de défense nationale (1986-1987) ; chargé de mission au Cabinet de Charles Pasqua (1986-1988) et collaborateur de Charles Pasqua (1993-1995) ; conseiller du commerce extérieur de la France (depuis 1989) ; préfet chargé d’une mission de service public relevant du gouvernement (1993); préfet hors cadre (1995); préfet du Var (1995-1997); préfet, secrétaire général de la zone de défense de Paris (1997). Jean – Charles Marchiani est Chevalier de la Légion d’honneur, Officier des Palmes académiques, Commandeur de l’Ordre national du Lion (Sénégal) et Commandeur de l’Ordre national du Mérite de la Côte d’Ivoire.
L’eurodéputé français Jean-Charles Marchiani, votant,
le 13 mai 2003 au parlement européen à Strasbourg. |
Lors de votre libération vous avez certainement été tenté de savoir plus sur votre enlèvement et la manière dont vous avez été libéré… D’ailleurs à ce propos, on a parlé des tractations entre la France et l’Iran… Qu’en dites-vous?
Ce n’est pas si évident. Comme je vous l’ai souligné, il y a des éléments qui constituent des secrets d’Etat. La seule chose que je puisse certifier : c’est que la France a réussi dans ces négo-ciations d’une manière spectaculaire. Néanmoins, ce que je reproche à mon pays et que les autres otages qui ont été libérés comme moi le font c’est le sentiment d’être face à un déni de justice. Au lieu de rechercher la manière dont nous avons été libérés, ne vaut-il pas mieux vérifier qui sont les responsables de notre enlèvement pour que nous puissions obtenir une réparation, du moins morale du préjudice que nous avons subi. A cet égard, les Etats–Unis ont mis en cause directement l’Iran dans cette affaire. Ils sont même allés plus loin : ils ont traduit l’Iran en justice et ont obtenu de ce pays des indemnités pour leurs otages qu’ils ont prélevées sur les avoirs iraniens aux Etats-Unis.
On avait parlé à l’époque d’un marchandage qui a eu lieu et que Jacques Chirac qui était à l’époque Premier ministre et candidat aux élections présidentielles, a demandé aux réseaux Pasqua auxquels appartenait Jean-Charles Marchiani de procéder à cette opération (la libération des otages) entre les deux tours des élections présidentielles. Qu’en pensez-vous?
Pour ma part, j’ai été libéré en 1987. En ce qui concerne les autres otages qui ont été libérés en 1988, j’ai comme vous lu et entendu dire que le gouvernement de Monsieur Chirac a voulu donner des signes forts tant en ce qui concerne la libération des otages du Liban, qu’en ce qui concerne l’opération en Nouvelle Calédonie. En même temps, j’ai lu et entendu dire qu’il s’agissait d’une arme à double tranchant car ces opérations pouvaient desservir le gouvernement.
Pour ce qui est de la libération des otages, je serai nuancé. Vous le savez mieux que quiconque qu’en 1987 et 1988 le Liban était dans le chaos et qu’il était impossible de cadrer une date précise de libération des otages. Il était, voire même, impossible de fixer un rendez-vous à une date et à une heure précises durant cette guerre où l’on assistait à des bombardements inattendus, à des barrages dans les rues, à des bouleversements et à des retournements inattendus de situation.

Arrivée à Villacoublay des pilotes français, prisonniers des Serbes. On reconnait Jean-Charles Marchiani,
les pilotes Frédéric Chiffot et Jose Manuel Souvignet autour du Président Chirac (le 12/12/1995).
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Certains observateurs pensent que la mise en cause en ce moment de Jean-Charles Marchiani veut atteindre Jacques Chirac. C’est la raison pour laquelle il est mis en examen, notamment pour l’affaire des otages du Liban en sus d’autres affaires. Qu’en dites-vous?
Il s’agit d’une affaire de règlement de comptes. Je pense qu’avant d’arriver à Jacques Chirac, d’autres fusibles vont être atteints. Ce sera le tour de Charles Pasqua avant d’arriver à Chirac qui jouit en ce moment d’une immunité constitutionnelle. Nous sommes dans un contexte politico-judiciaire, proches d’échéances électorales. Certainement, le Président Chirac est visé. Nous allons assister à un déballage de dossiers multiples et variés le concernant. De même, je pense que d’autres personnalités politiques de droite comme de gauche feront l’objet d’attaques similaires. En ce moment, Jean-Charles Marchiani paie les pots cassés.
Pensez-vous qu’il est innocent des accusations dont il fait l’objet?
De quoi l’accuse-t-on? D’avoir eu des comptes en son nom propre? Il faut savoir que la réussite de ses missions tant au Liban qu’en Bosnie (où il a aussi libéré des pilotes), voire même sa mission de lutte contre le terrorisme dans le cadre de ses fonctions relatives à la sécurité de Paris, demandent des moyens. Comment voulez-vous qu’il réussisse sans moyens? Quels sont ces moyens et comment ont-ils pu être employés? Je pense qu’il y a là une raison d’Etat, des secrets qu’il faut préserver dans l’intérêt de la France. Sa mise en cause dans ces affaires fait preuve d’un dysfonctionnement de nos institutions : il s’agit d’une atteinte à cette raison et à ces secrets d’Etat qu’il va falloir préserver. A l’instar de mes confrères Jean–Paul Kauffman (qui a fait plusieurs interventions dans les médias) et Roger Auque (qui est intervenu à ce sujet récemment sur France 3), j’appelle la presse à faire la lumière à ce sujet et à ne pas tout mettre à charge contre lui. Je le connais bien et je sais comment vit-il quotidiennement, dans un petit appartement bourgeois à Paris, avec un style de vie simple. S’il avait mis de l’argent de côté comme on veut le faire croire, pourquoi ne l’avait-il pas dissimulé? Pourquoi serait-il resté en France avec un train de vie normal? Malheureusement, en France on n’assume pas beaucoup de choses. J’ai entendu dire “la République n’a pas besoin de types comme Jean-Charles Marchiani”, comme si la République ne doit traiter qu’avec des gants blancs… Bien au contraire, la République a besoin d’hommes de l’ombre à l’instar de Marchiani dont le rôle est malheureusement ingrat comme nous le constatons en ce moment. S’il était aux Etats–Unis, Jean-Charles Marchiani aurait été décoré et aurait reçu une large somme d’argent. S’il était en Grande–Bretagne, il aurait été anobli par la Reine. En France, on le met en prison! |