Souriant, d’une bonne humeur inéga-lable pointée d’humour fin. Ayant assumé plusieurs importants postes diplomatiques dont consul général à New York et ambassadeur de Belgique en Ethiopie, Erythrée et Djibouti, M. Stéphane de Loecker, nouvel ambassadeur de Belgique, est très heureux d’être en fonction au Liban. “J’ai demandé ce poste à mon ministre des Affaires étrangères, M. Louis Michel, nous confie-t-il, pour maintes raisons. J’ai travaillé aux Nations unies où on parlait souvent du Proche-Orient, notamment du Liban: ce pays le plus confortable de la région. De même dans toutes mes missions à l’étranger, j’avais un contact permanent avec la diaspora libanaise; aussi, mes prédécesseurs me parlaient-ils incessamment, du charme de ce pays et de la superbe résidence que nous avons ici. Il faut dire que l’hospitalité et la générosité des Libanais, peuple très attachant qu’on a vu de l’extérieur, constituent des atouts impressionnants.
Y aurait-il quelque contentieux entre la Belgique et le Liban?
Heureusement pas, il n’existe aucun contentieux entre nos deux pays qui sont des pays amis de longue date, y compris pendant la pé-riode extrêmement difficile qu’a traversée le Liban. Il y a seulement une difficulté que je souhaiterais tout de même signaler qui n’est pas uniquement pour la Belgique, mais pour beaucoup de pays, notamment, européens... C’est ce qu’on appelle les “rapts parentaux”; c’est-à-dire, lorsque des parents divorcent, dont le père ou la mère est belge et l’autre libanais; c’est l’e-xercice du droit de visite du parent belge, à l’égard de ses enfants qui se trouvent au Liban. C’est une difficulté systématique qui n’est pas du tout liée au système juridique libanais; parce que bien souvent, ce sont des jugements qui ont été rendus en Belgique et ont reçu l’approbation de la justice libanaise. Mais ils sont difficiles à appliquer parce que tout ce qui lie la famille est, évidemment, géré au niveau communautaire au Liban.
Comment évaluez-vous les relations entre les deux pays et entre Bruxelles et le monde arabe?
Les relations entre nos deux pays sont traditionnellement excellentes. Nous sommes présents dans ce pays depuis très longtemps et tous les deux sont membres de la francophonie; des membres très actifs d’ailleurs. En général, la Belgique a toujours eu et de la même façon que d’autres pays européens, d’excellentes relations avec le monde arabe; c’est le cas maintenant. Je voudrais signaler, à ce sujet, que nous avons dans plusieurs grandes villes de Belgique, d’importantes populations d’origine arabe; essentiellement des pays du Maghreb, mais nous avons aussi un certain nombre de difficultés d’intégration.
Favorable à l’élargissement de l’UE
La Belgique est-elle favorable à un agrandissement de l’Union européenne qui, selon certains membres, menace les institutions d’impuissance?
Nous sommes effectivement favorables à un futur élargissement à une date appropriée et j’insiste sur la “date appropriée”, parce que nous savons que c’est un processus lent pour l’admission de la Turquie le moment venu dans l’Union européenne. Il serait naïf de penser que les négociations et la période de transition dureront moins de sept à dix ans. Je dirais quand même que ce n’est pas essentiellement pour des raisons d’ordre culturel ou religieux, comme on le dit souvent. C’est, avant tout, parce que la Turquie serait au cas où elle deviendrait membre de l’Union européenne du jour au lendemain, le plus gros Etat, c’est-à-dire avec un nombre de voix qui seraient vraiment très important par rapport aux autres et c’est le problème majeur.
Pour l’instant, nous n’avons pas changé le système de pondération de vote, comme on l’appelle au sein de l’Union européenne. Evidemment, c’est une des questions institutionnelles majeures de savoir si cela devrait être fait, au cas d’adhésion de la Turquie.
Le deuxième aspect est celui de l’assistance dans le domaine agricole. Comme vous le savez et c’est, d’ailleurs, largement critiqué, l’Union européenne subsidie son secteur agricole avec une population agricole aussi importante qu’en Turquie, il est évident que, budgétairement, cela coûterait un argent fou; c’est une partie des négociations qui serait très sensible.
Le troisième aspect, il ne faut pas le cacher: tout le monde a entendu les débats en France, puisque certains hommes politiques se sont clairement démarqués sur cette histoire que l’aspect culturel et religieux, à mon avis au troisième rang, est quand même un point de difficulté pour certains pays européens. Même si la Turquie a une Constitution laïque, il n’en demeure pas moins, culturellement, de voir un pays musulman dans l’Union européenne. C’est une grande première pour une portion de la po-pulation européenne, y compris belge, qui suscite certaines craintes et difficultés. On espère qu’au cours des négociations et en multipliant les contacts entre la Turquie et l’Union européenne, ce genre de craintes va progressivement se dissiper. Sans vouloir entrer dans beaucoup de détails, je voudrais donner un coup de main à mon ami, M. Patrick Renauld, ambassadeur de l’UE, parce que quand on parle de l’élargissement de l’UE au-delà de la Turquie, l’Union européenne a développé depuis quelques années, la politique de voisinage, qui concerne ses relations avec tous les pays voisins. Nous faisons cela avec les pays de l’Europe orientale, le bassin méditerranéen, y compris le Liban et la Syrie. Je déplore, comme tous mes collègues européens, le fait que le Liban et la Syrie soient les retardataires de ce processus et c’est bien dommage, parce que le Liban est un pays traditionnellement proche de la Belgique et de l’UE.
Les objectifs du Millénaire
D’après un rapport de l’Unicef, un milliard de personnes dont 500 millions d’enfants, vivent sous le seuil de pauvreté. Par quels moyens la Belgique lutte-t-elle contre ce phénomène? A-t-elle élaboré des structures spéciales à l’intention des personnes du troisième âge en adoptant l’assurance-vieillesse?
Nous sommes extrêmement conscients et concernés par le problème de pauvreté. Les Nations unies ont adopté en l’an 2000, les “objectifs du Millénaire”, notamment, la réduction de la pauvreté qui est l’une des priorités majeures définies par les Nations unies dans leur ensemble, y compris la Belgique et le Liban, en l’occurrence.
Nous essayons à travers toutes les institutions des Nations unies à la diminution de cette pauvreté généralisée dans le monde qui continue, malheureusement, à s’accroître, ce que nous essayons aussi de développer. Nous consacrons 0,4% de notre PNB à l’aide au développement et dans la déclaration du gouvernement actuel, l’objectif est d’atteindre 0,7%, ce qui a été recommandé par les Nations unies depuis plusieurs décennies, d’ici quatre ans.
Un des objectifs les plus importants, est le “Micro-crédit”. Dans beaucoup de pays pauvres, on octroie des montants sans taux d’intérêts; cette action est, surtout, destinée aux femmes. D’ailleurs, un membre de la famille royale, la princesse Mathilde, épouse du futur roi, le prince Philippe, a été nommée ambassadeur spécial des Nations unies pour le “Micro-crédit”.
En Belgique, on a affaire à un phénomène de vieillissement très important. Notre système d’assurance-vieillesse a été pensé et mis en œuvre depuis quarante ans, à l’époque où la pyramide des âges n’était pas comme maintenant. Nous sommes confrontés à une situation où les personnes qui travaillent, actuellement, doivent déployer des efforts plus importants pour assurer l’assurance-vieillesse de la génération qui la précède, de l’aide dont ils bénéficieront eux-mêmes lorsqu’ils auront cet âge-là.
Quid de l’Irak et de la Palestine?
Comment conçoit-on à Bruxelles la solution du conflit israélo-arabe et de la crise irakienne?
Nous espérons tous que les élections prévues pour le mois de janvier, apporteront à l’Irak un peu de sérénité, la paix et la prospérité qu’il mérite. C’est l’espoir évidemment qu’on formule. Mais on a quand même quelque doute à ce sujet, quant au fait que les élections vont apporter, mais d’un autre côté, on ne voit pas d’autres issues. Etant donné la situation telle qu’elle se présente, aujourd’hui, il faut que ces élections aient lieu. Elles peuvent amener une représentativité pour les trois communautés.
Quant au volet israélo-palestinien, il y a une opportunité: l’élection de Abou Mazen est, sans doute, une victoire de la démocratie en Palestine. Félicitations pour Israël pour avoir fait en sorte que les élections se passent bien. La personnalité de Abou Mazen, son expérience et la position qu’il a eue au cours des dernières années dans l’entourage d’Arafat, lui valent certes le respect des autorités israéliennes et, aussi, celui de la population palestinienne comme on a pu le voir à la télévision.
Nous espérons que c’est une bonne amorce au problème israélo-palestinien. Quant aux autres volets, pour l’Union européenne, au Conseil des 16 et 17 décembre de l’année dernière, le Conseil européen a exprimé tous ses vœux à l’égard des élections en Palestine mais a, aussi, très clairement dit, que dans les meilleurs délais, les volets libanais et syrien du processus de paix devaient être soutenus par la Communauté européenne.
Pour l’UE, il faut que le dialogue s’amorce entre la nouvelle Autorité palestinienne et les Israéliens dès que possible dans les meilleurs délais. Le volet libano-syrien sera pris en considération, parce qu’il faut trouver une solution à la frontière entre le Liban et Israël, de même au “Hezbollah” qui soit dans le cadre de la 1559 et, également, aux réfugiés palestiniens qui sont ici; à ce sujet, le gouvernement libanais a une position intransigeante.
Un litige a opposé, dernièrement, l’Otan à l’Union européenne à propos de la mise en place d’une structure militaire concurrente, dans le cadre de sa nouvelle politique de défense: quelle est la position de la Belgique à ce sujet?
C’est un vieux débat que j’ai connu dans un poste que j’ai occupé auparavant. Il y a au sein de l’UE, la politique européenne de sécurité et de défense, qui consiste à se doter au sein de l’UE de moyens de défense qui puissent permettre à l’UE, au cas où l’Otan n’est pas mobilisé, de décider de faire une opération. Je vous citerais quelques exemples pour dire que ce n’est ni contradictoire, ni en concurrence avec l’Otan, comme on l’a pensé, il y a quelques années. Il y a eu une opération qui a duré quatre mois en République démocratique du Congo, pour calmer les esprits à l’est du Congo; il y a trois opérations en cours, actuellement, qui sont des opérations de police en Macédoine, au Kosovo, en Bosnie où une force militaire de l’UE a remplacé un contingent de l’Otan. Il y a un accord entre l’UE et l’Otan pour dégager les forces de l’Otan et les remplacer par une force UE, les concertations sont permanentes entre les deux parties et la coordination se passe très bien.
La Belgique a-t-elle adopté une législation dissuasive contre la délinquance informatique?
Il n’y a pas de législation spécifique à tout ce qui est Internet et informatique. Il y a, par contre, des lois générales contre la pédophilie. La police surveille dans la mesure du possible, mais les échanges par voie informatique entre des réseaux supposés liés à la pédophilie sont sujets, parfois, à des coups de filets.
Dans d’autres pays européens, la police au nom d’une loi qui est contre la xénophobie et l’antisémitisme, veille à ce qu’il n’y ait pas de sites qui profèrent des langages y relatifs. Au cas où on découvre ces genres de choses, la police intervient, non au nom d’une législation, spécifiquement, informatique, mais d’une législation plus large contre la xénophobie.
Quant au domaine bancaire, il y a eu de grosses opérations de fraude, il y a deux ans, dans lesquelles le transfert, par voie informatique, a joué un rôle important; là aussi, la police est intervenue auprès des banques concernées pour demander de se justifier et mettre fin à ce genre de transfert.
A quels problèmes requérant des solutions urgentes le gouvernement belge est-il confronté? Et participe-t-il, par quels moyens et dans quels domaines, à la lutte contre le terrorisme?
Nous allons fêter cette année un double anniversaire: les 175 ans de la Belgique et les 25 ans de la fédération. La Belgique fonctionne d’une manière fédérale: nous avons deux très importantes communautés, les institutions sont nationales mais beaucoup de nos institutions fonctionnent au niveau de la communauté. Nous passons énormément de temps à négocier certaines difficultés pour en trouver des solutions acceptables, le Liban fonctionne de la même façon. Ajoutons à ce problème celui de la montée de la xénophobie et de l’antisémitisme; ce qui sensibilise les partis d’extrême-droite qui sont ultra-nationalistes. Il y a des manifestations racistes xénophobes que nous essayons de contrer difficilement. Le meilleur moyen est celui de multiplier et d’encourager les politiques d’intégration. Nous avons une forte population juive, notamment à Anvers et il y a toujours des attentats contre cette communauté, comme c’est d’ailleurs le cas dans d’autres pays de l’UE.
Quant à notre participation à la lutte contre le terrorisme, nous sommes présents dans toutes les instances possibles et avons fortement renforcé la cellule antiterroriste au sein de la police fédérale belge, pour une simple raison: la Belgique est un lieu de passage, un petit pays très ouvert à ses voisins. Nous sommes extrêmement vigilants quant à la surveillance de nos frontières, à l’octroi des visas et, récemment, tous les citoyens belges ont reçu de nouveaux passeports non falsifiables. La lutte contre le terrorisme est un phénomène très important, nous y participons au niveau des Nations unies, pour le respect des listes des ressortissants de différents pays suspects d’être membres des réseaux terroristes. Il faut dire que la coopération, aussi, au niveau inter-policière et judi-ciaire, après le 11 septembre, a fortement augmenté.
Quel est votre meilleur souvenir de diplomate?
Il y a un souvenir qui me tient particulièrement à cœur, parce qu’il revêt une dimension très humaine. J’étais ambassadeur en Ethiopie à Addis-Abeba, pays très méconnu, mais très religieux, des orthodoxes très croyants. Il y a un site religieux lieu sacré “Lalibella”, situé dans le nord de l’Ethiopie, des églises creusées dans le rocher où trône une croix très spéciale de l’église orthodoxe éthiopienne, que les gens venaient adorer. Elle a été volée et j’ai appris que cette croix, une pièce d’art du XIIème siècle, se trouvait chez une personne résidente en Belgique, un collectionneur d’art.
Après avoir été le voir et plaidé la cause du peuple éthiopien qui a réellement perdu une partie de son âme, j’ai ramené cette croix “Lalibella” à Addis-Abeba. Mon plus beau souvenir c’est quand on a été ensemble, le patriarche de l’Eglise éthiopienne et moi-même poser cette croix dans le site situé sur une colline noire de monde; les gens nous saluaient en criant: “Belgique, Belgique, vous nous avez ramené notre croix”.
Un moment d’émotion inoubliable. |