Monaco perd son prince

En 55 ans d’un règne ponctué de drames familiaux, le prince Rainier III de Monaco, décédé mercredi à 81 ans, a redoré l’image d’un Etat microscopique aujourd’hui synonyme de paradis pour les grandes fortunes. Hospitalisé à cinq reprises ces trois dernières années pour des problèmes respiratoires et cardiaques, le prince a succombé mercredi 6 avril à 6h35 du matin à une infection respiratoire au centre cardio-thoracique de Monaco, où il avait été admis le 7 mars.

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photo Photo de famille: le prince Rainier et la princesse Grace, entourés de leurs enfants.

La disparition du 30ème prince de Monaco, marque la fin d’une vie jalonnée de drames et de rebondissements qui fit les beaux jours de la presse “people”, voire de la presse à scandales. L’aventure de Rainier Louis Henri Maxence Bertrand Grimaldi commence le 11 avril 1950, date de son accession au trône. Le jeune homme de 26 ans succède, alors, à son grand-père, le prince Louis II, après que sa mère, la princesse Charlotte, eut renoncé au titre cinq ans auparavant. Son mariage en 1956 avec l’actrice américaine Grace Kelly fait rêver le monde entier. La disparition tragique de l’héroïne d’Alfred Hitchcock, en 1982, transforme le conte de fée en drame hollywoodien. La princesse trouve la mort au volant de sa voiture dans un virage de la corniche reliant Nice à Monaco. A ses côtés, sa fille cadette, Stéphanie, est grièvement blessée. Veuf, le prince assume son rôle de père en patriarche soucieux de préserver, à la fois, l’image de Monaco que certains qualifient volontiers de “principauté d’opérette” et la vie privée de ses trois enfants, Caroline, Albert et Stéphanie.

photo Une autre photo de bonheur familial.

photo Le couple princier en 1956, lors de la course d’Atlantic City.

DEUILS, MARIAGES, DIVORCES
Deuils, mariages, divorces ponctuent le destin des Grimaldi, dont les moindres gestes, relayés par les paparazzi, alimentent les rumeurs que le prince tente de contenir. Au printemps 1978, Caroline épouse Philippe Junot à l’âge de 21 ans. L’union sera de courte durée et la princesse obtiendra du Vatican l’annulation de ce premier mariage.

photo Le prince et la princesse de Monaco en vacances d’été à Roc Agel en 1979.

photo La princesse Caroline et le prince Rainier lors des obsèques de la princesse Grace, le 18 septembre 1982.

Après le décès de Grace, le palais vit un nouveau drame avec la mort, à 30 ans, de Stefano Casiraghi. Le second mari italien de Caroline, père de ses trois enfants, meurt le 3 octobre 1990 dans un accident d’off-shore au large de Saint-Jean-Cap-Ferrat. Caroline s’est remariée en janvier 1999 avec le prince Ernst August de Hanovre, dont elle a une fille. Plus encore que sa sœur aînée, Stéphanie a longtemps été la cible des tabloïdes, au gré d’une vie sentimentale agitée. La rumeur prête de multiples fiancés à la benjamine des Grimaldi, qui épousera son garde du corps, Daniel Ducruet, dont elle a deux enfants. Elle divorcera quinze mois plus tard après la publication dans la presse italienne, de photos de son mari en compagnie d’une strip-teaseuse belge. Stéphanie donnera naissance, en 1998, à une petite fille née d’une relation avec l’un de ses gardes du corps. Elle se mariera cinq ans plus tard avec un acrobate portugais. A 47 ans, le prince Albert, qui succède à Rainier est, quant à lui, toujours célibataire.

photo La princesse Caroline, sa fille Charlotte et le prince Albert au cours de la messe célébrée pour le repos de l’âme du pape Jean-Paul II.

photo Drapeau en berne à l’entrée du palais monégasque.

Bien que longtemps resté dans l’ombre de son père, il affirme ne “jamais avoir songé à se soustraire à (son) devoir de succession”. Il représente, régulièrement, son pays lors de rendez-vous internationaux, notamment à la tribune de l’ONU. En plus d’un demi-siècle de règne, Rainier a poursuivi avec succès son œuvre de modernisation des institutions et de développement économique du Rocher, micro-Etat de 2 km2 où vivent 32.000 résidents de 125 nationalités. Sélectionnés en fonction de l’état de santé de leur compte en banque, ces derniers sont exemptés d’impôt sur le revenu. Le 17 décembre 1962, Rainier promulgue une nouvelle Constitution consacrant la séparation des fonctions administrative, législative et judiciaire. Cette dernière est depuis lors partagée entre le prince et le conseil national, assemblée de 18 membres élus au suffrage universel.

PRINCE BÂTISSEUR
Le souverain signe, en mai 1963, un accord de “voisinage” avec la France qui fixe des règles en matière fiscale et définit les accords de coopération entre les deux Etats. Le souverain monégasque a, également, pu se réjouir en septembre 1993 de l’entrée de Monaco à l’ONU. Le prince Albert a, également, conduit la délégation monégasque en octobre dernier lors de l’admission de Monaco au Conseil de l’Europe, autre succès diplomatique du Rocher. Pour accueillir le micro-Etat, le Conseil a exigé une révision de la convention avec la France, une “modernisation des institutions” qui rend la principauté moins tributaire de Paris. Surnommé “le prince bâtisseur”, Rainier entreprend des travaux pharaoniques, comme le remblaiement de l’anse de Fontvieille, qui permet de gagner 22 ha sur la mer et de construire le gigantesque stade Louis II. Festivals, congrès et manifestations sportives comme le Grand prix de Formule 1 et l’Open de tennis, contribueront à asseoir le rayonnement international de Monaco. Les crises n’ont pas épargné le pays de Cocagne. Sa sécurité légendaire fondée sur un système de télésurveillance sophistiqué et une forte présence policière - un policier pour 100 habitants - a été prise en défaut avec une recrudescence, toute relative, de la délinquance. L’image de Monaco est aussi entachée par la révélation, au début des années 1990, de malversations autour des tapis verts et la mise en cause d’employés de la toute puissante Société des bains de mer, qui gère les jeux et le tourisme en principauté. La chute de la Banque industrielle de Monaco (BIM) et les soupçons régulièrement émis sur le rôle de la principauté dans la délinquance financière internationale, ont aussi assombri les dernières années de règne de Rainier.

Le prince Rainier de Monaco est mort, Albert lui succède
Les drapeaux de la principauté sur laquelle il a régné 55 ans, depuis le 11 avril 1950, ont été mis en berne. C’est son fils Albert (47 ans,) qui lui succède (voir notre article en page 25, que nous avions mis sous presse avant le décès du prince Rainier).
Le président Jacques Chirac a, aussitôt, présenté ses condoléances au nouveau souverain et à sa famille. Depuis la brusque aggravation de son état de santé, ses enfants, le prince Albert, les princesses Caroline et Stéphanie et, parfois, ses petits-enfants, s’étaient relayés à son chevet. Au fil des jours, les bulletins de santé s’étaient faits plus alarmistes précisant, notamment, que le souverain était maintenu en vie grâce à des séances de dialyses rénales, associées à l’assistance respiratoire. Peu après l’annonce de sa mort, le diplomate français Patrick Leclerq, ministre d’Etat de la principauté, a prononcé un bref éloge funèbre du souverain défunt. “L’heure est à la douleur et chacun ici se sent orphelin tant la principauté a été marquée par son empreinte au cours des 56 années de son règne”, a-t-il déclaré d’une voix solennelle. L’une des dernières décisions du prince Rainier avait été de choisir l’ancien préfet de police de Paris Jean-Paul Proust pour remplacer Patrick Leclerq aux fonctions de ministre d’Etat. Cette décision doit prendre effet le 1er mai.

Communauté de destin avec la France
Dans sa lettre au prince Albert, Jacques Chirac estime que “Rainier a été une personnalité unanimement respectée et très aimée dans la principauté et symbolisait avec force la communauté de destin entre Monaco et la France”. L’une des premières réactions françaises à la mort de Rainier était venue de Philippe Douste-Blazy, qui a appris la mort du souverain de Monaco, alors qu’il était interrogé sur le déficit de la Sécurité sociale sur “Europe 1”. “C’est triste, parce que c’est un homme qui aura marqué très profondément et la principauté et toutes les relations entre les chefs d’Etat et la principauté de Monaco”, a déclaré le ministre de la Santé, qui a estimé que le prince Albert était “tout à fait à même de continuer l’œuvre de son père”.

Albert succède à Rainier
Prince héréditaire de Monaco depuis sa naissance, voilà 47 ans, Albert aura dû attendre la disparition de son père, le prince Rainier III à l’âge de 81 ans, pour lui succéder à la tête du micro-Etat de la Côte d’Azur. Le prince Albert accède, ainsi, à un pouvoir auquel son père l’initiait depuis une vingtaine d’années, sans aller jusqu’à lui céder les rênes de la principauté. Ce long apprentissage aura permis au nouveau souverain de se familiariser avec le fonctionnement du gouvernement monégasque et de maîtriser son rôle de représentation. Né le 14 mars 1958, Albert Alexandre Louis Pierre fait ses études au lycée Albert 1er de Monaco et décroche, en 1976, son baccalauréat avec mention. Il s’exile, ensuite, aux Etats-Unis jusqu’en 1981 pour des études universitaires au Amherst College (Massachusetts), où il deviendra “bachelor of arts” (licence) en sciences politiques. Bilingue français-anglais grâce à sa mère, feue la princesse Grace, Albert maîtrise, également, l’italien, l’allemand et l’espagnol. C’est, aussi, un sportif passionné. Il pratique le football dans l’équipe des “Barbagiuans” qu’il a fondée, ainsi que la natation, le handball, l’athlétisme, le judo et, surtout, le bobsleigh, discipline dans laquelle il a participé aux quatre derniers Jeux olympiques d’hiver. Le prince préside donc, logiquement, depuis 1994 le Comité olympique monégasque. Après avoir accompli, de septembre 1981 à avril 1982, avec le grade d’enseigne de vaisseau 2e classe, un stage dans la Marine française à bord du “Jeanne d’Arc”, sur lequel il fait le tour du monde, Albert se forme à la gestion financière chez Morgan Guarantee Trust, à New York; puis, chez Moët-Hennessy, à Paris. Particulièrement intéressé par les questions sociales et humanitaires, il accède à la présidence de la Croix-Rouge monégasque en 1982, avant d’être nommé vice-président de la Fondation princesse Grace-USA qui accorde des bourses d’études aux jeunes talents du monde des arts. Célibataire et ami de bon nombre des célébrités fréquentant la principauté, “son altesse sérénissime” Albert de Monaco, marquis des Baux, devient avec les années le “prince des cœurs”, l’homme qui fait rêver les princesses et les bergères à marier. On lui prête, régulièrement, des liaisons, mais aucune union ne semble en vue. Dans un entretien publié le 31 octobre 2000 par “Le Figaro”, le prince Rainier assurait que son fils devrait, d’abord, se donner une descendance avant de lui succéder. “Je ne souhaite pas, pour ma part, m’accrocher à vie à ma fonction. Le prince Albert possède toutes les qualités pour devenir un jour prochain prince souverain. Mais, auparavant, je souhaite qu’il puisse se donner une descendance, parce que cela est essentiel pour l’avenir de la principauté et de notre famille.” Albert restant désespérément sans enfant, le prince Rainier avait dû revenir sur sa position de principe, prenant soin de faire modifier la Constitution pour garantir que la couronne de la principauté reste sur la tête d’un Grimaldi. La loi du 2 avril 2002 ouvre ainsi la succession au trône aux frères et sœurs du monarque décédé, ainsi qu’à ses neveux et nièces. Albert peut donc régner sans souci: ses sœurs Caroline ou Stéphanie et leurs enfants pourraient lui succéder s’il venait à disparaître.

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3996 Du 9 Au 16 Avril 2005
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