La réouverture de la chaîne de télévision libanaise MTV, suite à l’amendement de l’article 68 de la loi sur les médias, s’inscrit en ligne directe dans la continuité de l’application de la résolution onusienne 1559 et du rassemblement du 14 mars, qui ont permis au Liban de recouvrer sa pleine souveraineté et de s’affirmer en tant qu’Etat indépendant, libre et démocratique.
Cette chaîne privée avait été pénalisée le 4 septembre 2002, pour avoir osé défier les interdits du “pouvoir mandataire syrien”. Les motifs invoqués pour cette sanction injuste et injustifiée, étaient que la MTV avait porté atteinte “aux relations avec un pays frère”, (la Syrie) et à la dignité du chef de l’Etat, Emile Lahoud, ainsi que pour avoir violé les dispositions de l’article 68 de la loi électorale qui interdisent aux médias de se livrer à une propagande partisane lors des élections législatives partielles de juin 2002. Sa fermeture par une décision “purement politique”, avait été critiquée par les courants d’opposition libanais et par le monde libre. Aujourd’hui, sa réouverture est unanimement
saluée et confirme l’attachement du Liban aux libertés de pensée
et d’expression. Pour connaître le devenir de cette chaîne, son profil
et ses objectifs, nous avons rencontré, dans ses locaux à
Naccache, son conseiller, Gabriel Murr qui ne cesse de
recevoir des messages et des témoignages de félici-t-
ations après la réouverture de la MTV,“qui, précise-t-il, ne sera fonctionnelle
qu’après le Nouvel An”.
Rendez-vous donc à début 2006.
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Quel est pour vous, le message essentiel à retenir de la réouverture de la MTV?
Le message essentiel et primordial à souligner est l’amendement de “l’article 68” de la loi sur les médias. Car cet amendement ne profite pas, uniquement, à la MTV mais à tous les médias audiovisuels libanais. Dans sa forme antérieure, “l’article 68” était une épée de Damoclès aux mains des responsables libanais, qu’ils pouvaient brandir à tout moment pour fermer télés et radios. D’ailleurs, lors des dernières législatives, les médias audiovisuels libanais ont dépassé de loin les bornes qui ont servi d’alibi en 2002 pour fermer la MTV. Mais déjà la conjoncture était différente et personne n’a trouvé à redire à leur violation de l’article 68. Un deuxième message est non moins essentiel: le triomphe de la liberté d’expression. Au cours de ces dernières années, les gouvernements libanais, syrien et les services sécuritaires qui ont bafoué les libertés, ont perdu avec la réouverture de la MTV leur dernière carte. Nous espérons que de tels agissements sont clos une fois pour toutes.
Croyez-vous vraiment qu’on puisse bannir à jamais de telles violations des libertés?
Cela fera partie de notre lutte à la MTV. Poursuivre le combat pour préserver et consoli-der notre indépendance et notre souveraineté nationale, surtout dans la conjoncture régionale en pleine mutation. Il faut savoir que l’indépendance est une quête permanente. Sur le plan interne, au cours de ces sept dernières années, nous avons entendu le président parler de l’Etat de droit et des institutions. Or, les institutions ont été bafouées et les lois violées. La décision du Conseil constitutionnel concernant ma députation en 2002 est un exemple flagrant. Il faut réé-difier cet Etat des lois et remettre les institutions en marche. Qui entend encore parler de la Fonction publique et de plusieurs autres institutions créées par le président Fouad Chéhab pour gérer la chose publique ou la “respublica”?
M. Gabriel Murr, entouré de sympathisants,
célèbre la réouverture de la chaîne.
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M. Gabriel Murr, entouré de sympathisants,
célèbre la réouverture de la chaîne.
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LE PROFIL DE LA MTV
On vous entend parler ces derniers jours de liberté, d’indépendance et de souveraineté...
“... Ce ne sont pas des slogans, mais des valeurs primordiales pour lesquelles nous avons combattu durant des années. Un grand pas a été réalisé avec la sortie des Syriens et de leurs services.
Quel va être le profil de la MTV et ses objectifs?
J’ai déjà évoqué deux objectifs: lutter pour préserver l’indépendance et reconstruire l’Etat de droit. Car la justice est à la base des nations et ne peut pas être sélective, partielle ou partiale? Sans justice et sans droit, il n’y a pas d’Etat. Pour que ces deux objectifs soient atteints, il faut l’élément de base: la liberté de croyance et d’expression. La MTV en avait fait son cheval de bataille.
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NI CHAÎNE LOYALISTE, NI D’OPPOSITION
Sera-t-elle une chaîne loyaliste ou d’opposition?
Elle ne sera ni loyaliste, ni d’opposition. On a toujours dit de nous que nous étions dans l’opposition, ce qui n’est pas vrai. Nous étions dans la ligne de défense des droits du peuple et de l’Etat libanais qui étaient bafoués. Nous persévérerons dans cette voie. La MTV était et demeurera une chaîne indépendante qui appuiera les actions saines et correctes, qu’elles soient le fait de l’Etat ou de l’opposition; elle dénoncera les erreurs et les abus d’où qu’elles viennent. D’ailleurs, nous n’étions pas dans l’opposition à outrance, tel qu’on le prétend. Je voudrais rappeler que nos quatre derniers invités avant la fermeture étaient: M. Elie Ferzli, vice-président de la Chambre à l’époque; les députés Khalil Hraoui et Sleimane Frangié, alors que le député Jean Obeid aurait dû passer juste au moment de la fermeture. Ces noms ne figuraient pas parmi les opposants. La MTV était ouverte à tout le monde et le sera toujours. Mais comme elle a eu le courage de se rendre en France pour interviewer le président Amine Gemayel et le général Michel Aoun, alors qu’il était défendu de prononcer les noms Gemayel et Aoun, on nous a collé le label d’opposition. De même, nous avions retransmis malgré les interdits, la messe traditionnelle du 14 septembre à la mémoire du président Bachir Gemayel et nous réclamions, sans cesse, la libération du Dr Samir Geagea. Nous avons, par ailleurs, interviewé cheikh Hassan Nasrallah, secrétaire du “Hezbollah” et le président libyen, Moammar Kadhafi...
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DANS LA CONTINUITÉ DU 14 MARS
Vous vous situez, évidemment, dans la continuité du 14 mars. Mais on entend dire, aujourd’hui, que le peuple et, surtout, les jeunes ont été leurrés et trahis. Qu’en pensez-vous?
Tout d’abord, il faut savoir que la réouverture de la MTV s’inscrit en ligne directe dans la conti-nuité du 14 mars qui a conduit au retrait total des Syriens du Liban, au retour du général Aoun et à la libération du Dr Samir Geagea. La déception et les critiques à l’égard du 14 mars sont dues au fait que les changements promis et attendus tardent à se manifester. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de nominations, surtout aux postes sécuritaires et le Cabinet Sanioura agit avec trop de lenteur. Aucune décision importante n’a encore été prise. Permettez-moi, au passage, de dénoncer le fait que dans l’amendement de l’article 68, le Premier ministre ait exclu d’éventuels dédommagements à la chaîne, soi-disant pour préserver les finances publiques. A-t-il pour autant le droit de priver les 450 employés de la MTV de leur droit? Ne sont-ils pas des citoyens libanais lésés par la fermeture de la chaîne? Quoi qu’il en soit, nous avions déjà présenté un recours; nous le maintenons pour défendre notre droit et nos intérêts. Pour revenir au 14 mars, il y a encore un long chemin à parcourir. En ce qui nous concerne, nous serons toujours en première ligne pour défendre et préser-ver les libertés de croyance, d’opinion, d’expression et le respect d’autrui. Le Liban doit être toujours, dans cette région du globe, l’exemple de démocratie et de pluralisme culturel.
Notre couverture dediée à la fermeture de la MTV
et datant du 7 septembre 2002. |
LA RELATION DES FRÈRES MURR
Peut-on dire que la réouverture de la MTV a réconcilié les frères Murr; vous aviez rendu visite à votre neveu Elias Murr à l’hôpital après l’attentat manqué qui a failli lui coûter la vie et Michel Murr a voté en faveur de la réouverture de la chaîne.
Il était normal que je rende visite au ministre Elias Murr, suite à l’attentat qui aurait pu lui coûter la vie, pour le féliciter d’avoir échappé à ce crime. Michel est venu, il y a quelques semaines, prendre un café chez moi pour me rendre la visite. N’empêche que nos divergences sur les questions de politique intérieure et extérieure subsistent.
Il a quand même voté pour la réouverture de la MTV?
C’était la moindre des choses. Dans le cas contraire, il aurait été perdant. D’ailleurs, la MTV remercie tous ceux qui ont voté pour sa réouverture. Agir autrement aurait signifié voter contre les libertés.
Bon nombre de députés ont voté pour la fermeture et, aujourd’hui, ils se sont prononcés en faveur de la réouverture.
La fermeture a été décidée par les Syriens, par le président Emile Lahoud et par Michel et Elias Murr; une “décision à trois têtes”. Quant aux exécuteurs, c’est un autre problème, qu’il s’agisse des procureurs Addoum ou Maamari, des magistrats Labib Zouein, ou Rabiha Ammache... Ils ont exécuté les ordres manu militari.
Comptez-vous rendre visite au chef de l’Etat?
J’avais présenté une demande, pour lui rendre visite après les élections de juin 2002 et je n’ai toujours pas reçu de réponse.
N’avez-vous pas renouvelé votre demande maintenant que la conjoncture a changé?
Pourquoi la renouveler?
Elle a pu se perdre dans les dédales du palais?
Il faudrait, alors, soit changer de palais ou de locataire. Un changement de président est bon pour la démocratie.
Cela viendra, dans deux ans?
Peut-être avant, on ne sait jamais. Il y a eu une pression syrienne pour imposer le renouvellement du mandat Lahoud et cette pression n’existe plus. Les circonstances ont permis qu’il poursuive son mandat. Mais il n’est pas dit qu’il terminera les deux ans. On doit sortir de cette impasse.
La MTV a été la première chaîne à interviewer le général Michel Aoun, alors qu’il était en exil. En 2002, aux partielles du Metn, le courant patriotique libre a appuyé à fond votre candidature. Aux législatives de 2005 vous n’étiez plus sur la même longueur d’onde. Pourquoi?
Il ne s’agit pas de longueur d’onde. Le général Aoun et son courant ont choisi de ne pas cons-tituer une liste d’opposition unique au Metn. Cela a été malheureux!
Le général vous a-t-il félicité après la réouverture de la MTV?
Il a téléphoné pour me féliciter. Nos relations sont normales, ni froides, ni chaudes.
Tièdes?
Oui, si vous voulez.
La Syrie est en train de reprocher, en ce moment, aux médias libanais de lui être hostiles.
Quel langage adopterez-vous?
Que la Syrie nous excuse. Question liberté d’expression elle est loin d’être l’exemple à suivre. D’ailleurs, nous n’avons de directives à prendre ni de l’Amérique, ni de la France, ni de la Chine... et encore moins encore de la Syrie. Nous avons un Etat à édifier des libertés à défendre et nous agissons selon notre conscience. A la MTV, nous avons toujours adopté un langage correct pour dire les vérités en face et nous continuerons à le faire. Lorsque les Syriens ferment leurs frontières, doit-on se taire? N’a-t-on pas le droit de s’interroger sur le sort des Libanais disparus en Syrie? Nous avons droit à des réponses de la part du président syrien. Sinon, mieux vaut que la MTV reste fermée.
M. Gabriel Murr à notre collaboratrice Nelly Hélou:
“Nous serons toujours en première ligne pour défendre et préserver les libertés”
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LES PROBLÈMES TECHNIQUES ET HUMAINS
Venons-en plus concrètement aux problèmes qu’il faudra résoudre pour la réouverture. Comment se posent-ils?
Cette réouverture demande quelques mois de préparation, avec trois phases essentielles à sui-vre. La première porte sur le renouvellement du capital qui doit faire fonctionner le moteur. Il faudra deux à trois mois pour avoir un argent frais. La deuxième phase porte sur la partie technique. Des émetteurs fermés pendant trois ans, ont besoin d’une remise en état. Il y a, aussi, tout un matériel nouveau à installer. La partie la plus importante est l’élément humain. Notre équipe qui était formée de 452 personnes, a été dispersée à travers le monde: au Liban, au Moyen-Orient, au Canada, aux Etats-Unis, en Europe et ailleurs.Pour reformer cette équipe, cela prendra du temps. Tous ceux qui faisaient partie de la MTV et voudraient la réintégrer sont les bienvenus. Ensuite, il faudra compléter l’équipe par de nouveaux éléments sur base des critères de compétence et d’expérience. En fait, on sera moins que 450, autour de 250 à 300 éléments. Une fois ces trois conditions remplies, on pourra redémarrer. Ce sera, certainement, après le Nouvel An. |