Vingt ans après sa mort, le chercheur et sociologue français Michel Seurat a retrouvé sa famille et sa patrie, au cours d’une double cérémonie au Liban et en France où un hommage solennel lui a été rendu. Enlevé en pleine guerre, par le Jihad islamique le 22 mai I985 alors qu’il venait de débarquer à l’AIB, sa mort, à l’âge de 37 ans, avait été annoncée le 5 mars I986. Depuis, les recher-ches pour le retrouver avaient été vaines. C’est à la faveur d’un chantier en construction non loin de l’aéroport, que ses ossements avaient été découverts en octobre dernier. C’étaient bien les siens, une biopsie et des analyses ADN pratiquées en France allaient le confirmer.
Michel Seurat captif,
mort à l’âge de 37 ans.
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Bernard Emié lors de la cérémonie d’hommage à Beyrouth. A gauche,
le chef des FSI, Achraf Rifi.
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Sa veuve, Marie Seurat, avait mené un long combat de vingt ans pour en arriver là. Venue à Beyrouth sur un avion spécial avec ses filles Alexandra (24 ans), Laeticia (22 ans) et l’ex-otage Jean-Paul Kauffman, compagnon de cellule de Seurat, elle a plongé dans un climat surréel où le recueillement le disputait à la souffrance. Rien n’avait été oublié de ces longues années d’épreuve. Et la douleur est toujours vive. Mais, a-t-elle confessé lors de la cérémonie “mes émotions sont aujourd’hui inattendues. Je ne suis pas submergée par l’effroi comme je l’avais anticipé pendant des mois, mais au contraire aujourd’hui, je me sens apaisée”.
Arrivée en France de la dépouille mortelle de Michel Seurat,
saluée par la garde républicaine.
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Dominique de Villepin s’inclinant devant la dépouille de Seurat.
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Une cérémonie s’était tenue le matin du 7 mars à la direction des Forces de sécurité intérieure en présence du directeur des FSI, le général Achraf Rifi et de l’ambassadeur de France, Bernard Emié où a eu lieu la remise officielle de la dépouille de Seurat de l’Etat libanais à l’Etat français. Celle qui l’a suivie à l’AIB s’est déroulée, en présence notamment des mi-nistres de la Culture Tarek Mitri; de la Justice, Charles Rizk; de l’Intérieur Ahmad Fatfat; de l’Education et de l’Enseignement supérieur, Khaled Kabbani, de ses proches et de quelques amis.
En prenant la parole, M. Mitri a situé “la disparition tragique de Michel Seurat au cœur de la tourmente libanaise d’alors, et sous les coups de l’anarchie, la barbarie, des bandes armées, des conflits et autres interférences qui déchiraient le Liban”. Sa fille Laetitia Seurat qui ne l’a pas connu, a remué les cœurs en avouant: “Il me manque cet homme que je ne connais pas”.
Le père René Chamussy, recteur de l’USJ, a affirmé: “Michel Seurat est vivant parce que nous sommes tous là pour le dire, parce que nous ne pouvons ne pas croire qu’un être qui s’est jeté avec tant d’acharnement, avec tant de passion à la découverte de ses frères les hommes et des sociétés autres que la sienne, puisse être oublié de Dieu et ne pas se retrouver maintenant dans l’immense cohorte de ceux qui ont aimé les autres”.
L’ambassadeur de France avait pris la parole après l’allocution du ministre de la Culture représentant le président du Conseil Fouad Sanioura et avait souligné, entre autres: “Nous sommes ici réunis pour rendre hommage à cette personnalité passionnée par cette région, par ce monde arabe qui le fascinait et qu’il appréciait mieux que quiconque. Cet homme de science, de vérité, de recherche. Cet homme tué alors qu’il était dans sa quête du savoir, dans sa passion d’aimer, de connaître, de comprendre ce monde, sa mentalité et sa culture. Tué dans ce Liban qu’il aimait tant, où il vivait depuis dix années et où il avait décidé de demeurer avec sa famille, malgré la guerre civile et les tensions quotidiennes.”
Au salon d’honneur de l’aéroport d’Orly où a été déposé son cercueil recouvert du drapeau trico-lore, l’attendaient Dominique de Villepin et le ministre des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy. S’adressant aux membres de sa famille, le Premier ministre français les a accueillis “au nom du président Chirac”. “Je veux vous dire la solidarité de la nation tout entière dans ce moment de recueillement que nous attendions depuis vingt ans. Nous savons toutes les souffrances qui ont été les vôtres, pendant cette longue veille, ce temps d’incertitude et d’épreuve. Aujourd’hui, l’absence a pris fin. Aujourd’hui, c’est une force d’âme et un esprit qui retrouvent la France. Sa présence sur notre terre n’effacera pas la douleur et les regrets. Mais elle renforce notre détermination à nous battre toujours davantage au nom des valeurs que Michel Seurat a tant défendues: la liberté, le respect et la tolérance”.
Désormais, il s’agit de débusquer les coupables. Le juge antiterro-riste Jean-Louis Bruguière, en charge également du dossier de Samir Kassir, devra arriver bientôt à Beyrouth pour enquêter sur son enlèvement. Justice devra être faite pour que l’âme de Seurat repose en paix.