Lors de leur visite au Liban, Dieudonné Mbala Mbala, humoriste et candidat à la présidentielle française 2007 et Thierry Meyssan, écrivain et président du Réseau Voltaire, ont fait part de leurs impressions sur la guerre au Liban, au cours d’un entretien exclusif accordé à “La Revue du Liban”.

Dieudonné Mbala Mbala
et Thierry Meyssan
inspectant les ruines dans la banlieue-sud.
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Suiviez-vous l’actualité libanaise avant les événements du 12 juillet 2006?
Dieudonné Mbala Mbala: Oui, bien sûr. Rien de ce qui se passe au Liban ne laisse les Français indifférents et ma génération a grandi en suivant les drames successifs qu’a connus votre pays. L’occupation israélienne de 82 à 2000 et ses conséquences dramatiques pour les Libanais sont dans toutes les mémoires françaises. Les liens historiques entre nos deux pays sont tels que les affaires libanaises ne sont jamais tout à fait des “affaires étrangères” à nos yeux. Cela nous renvoie à une période qui semble lointaine, tant la France a depuis largement abdiqué de son indépendance vis-à-vis des Etats-Unis d’Amérique.
Thierry Meyssan: Voici plusieurs années que je me rends régulièrement au Liban et y rencontre des personnalités politiques. Le Réseau Voltaire pensait ouvrir un bureau à Beyrouth en août de cette année pour y réaliser son édition quotidienne en arabe. Nous en avons été empêchés par la guerre, mais ce projet n’est que reporté. Nous nous faisons même un devoir moral de le poursuivre à son terme.
Votre opinion sur ce que vous avez vu au Liban?
D.M.M.: Ce que nous avons vu nous rend optimistes: les Libanais, dans leur grande majorité, sont parfaitement conscients d’avoir remporté une victoire historique face à Israël et sont, en dépit des destructions massives et des crimes de l’armée israélienne, déterminés à reconstruire le pays. Le sentiment national libanais sort renforcé de cette guerre et nous pensons que les accords entre le camp chrétien du général Aoun et le Hezbollah ouvrent de grandes et belles perspectives pour le Liban et son peuple. Nos rencontres avec le général Aoun, le président Lahoud et le président du “Bloc de fidélité à la Résistance” Mohamed Matar à l’Assemblée nous ont fait un immense plaisir car marquées au sceau de la détermination, de la lucidité et du sens des responsabilités.
T.M.: Les frappes n’ont pas été opérées de manière ciblée par des missiles, mais à une échelle gigantesque et de manière aveugle par des bombardiers. C’est une dévastation comparable à celle de Stalingrad pendant la Seconde Guerre mondiale; une volonté délibérée de punir les civils dans les zones qui ont voté majoritairement Hezbollah aux dernières élections.
Dans quelle mesure le lobby sioniste a pu nuire à vos carrières respectives?
D.M.M.: Le lobby sioniste est omnipotent en France et tente de faire taire par tous les moyens ceux qui dénoncent son influence néfaste, laquelle met en cause le principe même de la République. Les sionistes ont dans notre pays les moyens de censurer totalement leurs opposants, d’organiser des procès en cascade qui minent la capacité des opposants, notamment au plan financier.
Ils peuvent, pour parler du domaine du spectacle qui est le mien, priver un artiste de la possibilité de s’exprimer dans les théâtres subventionnés. Ils peuvent, par pression, organiser la persécution fiscale d’un opposant, afin de le réduire au silence par la mort économique. Toute proportion gardée, on peut parler ici aussi de résistance, même si le combat ne se mène pas sur le terrain militaire. Il est fondamental que cette situation soit mieux connue au Moyen-Orient et que ceux qui subissent, sous une forme ou sous une autre, l’oppression sioniste, travaillent de concert et s’entraident. C’est une nécessité absolue.
T.M.: Pour ma part, j’ai fait l’objet d’une campagne de presse stupide visant à me disqualifier par association d’idées. Je défends l’égalité en droit de tous et je ne me suis jamais écarté de ce principe. Aussi à défaut de me reprocher des choses précises, on m’a reproché de laisser lire mes livres par des lecteurs antisémites et de les laisser vendre par des libraires antisémites. Puis, on a essayé de trouver des points de comparaison entre ma méthodologie et celle des négationnistes. Sur cette base, la presque totalité de mes confrères français ont rompu toute relation avec moi. De son côté, le CSA, outrepassant ses pouvoirs, a enjoint les chaînes de radio et de télévision françaises de ne plus me donner la parole. Quoi qu’il en soit, tout cela n’a pas eu d’importance au-delà de l’Hexagone.
Comment l’actualité de la région est-elle retranscrite en Europe et plus particulièrement dans les médias français?
D.M.M.: La partialité des médias est inouïe. Les forces de la Résistance sont systématiquement présentées comme terroristes et ceux qui les sou-tiennent comme des complices. Le contexte historique est systématiquement éludé, de sorte que l’opinion pourrait croire que ces conflits n’auraient rien à voir avec la création d’Israël et son corollaire, l’éradication du peuple palestinien. La capture des soldats israéliens, par exemple, fut présentée comme un “enlèvement”, terme qui renvoie au gangstérisme et les raisons qui ont conduit à cette opération de la Résistance sont occultées. Les Français ignorent qu’Israël détient des milliers de prisonniers dans ses geôles. Mais des signes nous montrent que la propagande médiatique perd progressivement de son efficacité. A cet égard, il est tout à fait essentiel que des personnalités célèbres et populaires s’impliquent pour faire éclater la vérité. C’était l’un des objectifs de la délégation que j’ai conduite dans votre pays, que je veux d’ailleurs remercier pour son formidable accueil.
T.M.: Les médias européens s’abreuvent, principalement, auprès de certaines agences de presse. Celles-ci ont accepté de faire corriger leurs dépê-ches par la censure militaire israélienne en échange de l’autorisation de maintien de leurs correspondants en Palestine occupée. Il s’en suit que les médias européens sont borgnes. A cela, s’ajoute le parti pris pro-sioniste de nombreux journaux. Ceux-ci, persuadés de la supériorité de l’Etat juif sur les Arabes, ont pris pour argent comptant un communiqué de Tsahal annonçant: “Israël s’empare de Bint Jbeil, fief du Hezbollah au Liban-Sud”. L’Histoire retiendra au contraire que Tsahal a connu là une de ses plus cuisantes défaites.
Comment êtes-vous venus à Beyrouth puis rentrés à Paris? Racontez-nous votre périple.
D.M.M.: Il a tout d’abord fallu rassembler des fonds pour organiser cette délégation. Une fois cet objectif atteint, nous avons transité par Damas où nous avons atterri puis rallié la frontière par la route. Fort heureusement, Dieudonné commence à être connu dans le Moyen-Orient et nous avons pu sur place bénéficier de l’aide logistique précieuse d’amis qui nous soutiennent. Nous avons procédé de même pour le retour.
T.M.: L’aéroport de Beyrouth est sous contrôle israélien et ne reçoit que des avions britanniques ou jordaniens. Nous avons donc refusé d’utiliser ces lignes aériennes et sommes allés à Damas en avion; puis, avons rejoint Beyrouth par la route. Nous avons constaté au passage des traces de bombardements ciblés et vu les ruines du grand pont autoroutier de Moudayrej.
Quelle est selon vous la part de responsabi-lités des deux belligérants?
D.M.M.: La responsabilité entre un agresseur et sa victime est assez simple à établir. Israël est entièrement responsable de cette guerre criminelle, avec les Etats-Unis d’Amérique, qui ont commandité cette agression, dont ils veulent qu’elle constitue un prélude à leurs objectifs suivants, liés à leur plan de remodelage du Grand Moyen-Orient, lequel passe selon eux par un “chaos constructeur”.
T.M.: Selon la Résolution 1701, ce serait le Hezbollah qui en porterait seul la responsabilité pour avoir enlevé deux soldats israéliens. Mais selon le Droit international, c’est Israël, le seul responsable, car il occupe le Liban depuis une trentaine d’années et viole quotidiennement son espace aérien et maritime. Tout peuple a le droit inaliénable de lutter pour libérer sa patrie. Ce droit inclut celui d’enlever des soldats de la force d’occupation, sans limites territoriales. En l’occurrence, l’enlèvement des soldats israéliens a eu lieu dans la zone de la ligne bleue. C’est-à-dire dans un territoire libanais occupé et disputé.
Que pensez-vous de la position de certains politiques de par le monde et leur solidarité avec le Liban?
D.M.M.: Le président Chavez, que nous avons rencontré à Damas, a une fois de plus, montré l’exemple par ses positions sans ambiguïté, lesquelles sont aussi les nôtres. L’Iran et la Syrie, également, ont fait honneur au monde arabo-musulman. Les positions de certains dirigeants arabes sont, certes fort décevantes, pour ne pas dire plus, mais nous pensons que la formidable victoire du Hezbollah et du Liban va amener certains à réviser leur ligne. Ils y seront contraints par leur opinion publique. Grâce aux Libanais, aux résistants et à leur soutien, plus rien ne sera jamais comme avant.
T.M.: Dans ce conflit, prétendre maintenir un équilibre entre l’agresseur et sa victime, c’est défendre le statu quo. Chacun doit choisir son camp: celui du Liban avec lequel la France entretient des relations privilégiées depuis le XIIème siècle, ou celui d’un Etat qui pratique l’apartheid chez lui et tente d’imposer par la force sa supério-rité subjective aux autres.
Quelle est selon vous la raison du déchaînement israélien contre le Liban?
D.M.M.: Ce déchaînement s’inscrit dans la stratégie américano-sioniste de domination planétaire, laquelle passe par le contrôle de la région et de ses ressources. Tout le reste n’est que littérature.
T.M.: Comme toutes les guerres, celle-ci est le fruit d’intérêts convergents. Elle répond aux intérêts du capitalisme mondialisé, ainsi qu’à la volonté de remodelage du Nouveau Moyen-Orient par les Etats-Unis et à la soif d’expansion du sionisme. La guerre du Liban n’est qu’une bataille dans un conflit plus vaste qui a déjà ravagé la Palestine, l’Afghanistan et l’Irak dans cette région du monde et d’autres pays ailleurs. Cette analyse n’a rien d’original, mais elle oblige à l’action. Nous en avons discuté avec le président Hugo Chavez à Damas.
La volonté de s’attaquer à Al-Manar chaîne de télévision du Hezbollah est vérifiable depuis des années. De nombreux organismes de défense de la liberté de la Presse s’en sont indignés. Quel est votre avis sur cette question?
D.M.M.: Il semble clair que la volonté de destruction de cette chaîne d’information de qualité, qui se manifeste depuis plusieurs années, est liée aux objectifs des gouvernements américain et israélien. Nous avons dénoncé en son temps la censure d’Al-Manar en France. On reprochait à cette chaîne de faire de la propagande de guerre! A ce compte-là, ce sont tous les grands médias occidentaux qu’il faudrait censu-rer. Les attaques contre Al-Manar, dont nous avons rencontré la direction à Beyrouth et dont nous saluons le courage et l’efficacité, indiquent que l’empire US la considère comme un objectif de guerre, ce qui est la preuve de sa grande utilité. Nous disons à l’équipe tout entière notre soutien et notre admiration pour son travail essentiel.
T.M.: Le général Ariel Sharon avait fait créer par ses amis aux Etats-Unis une structure chargée de faire interdire Al-Manar dans le monde. Ils ont eu le plus grand mal pour y arriver en France. Ils ont accusé Al-Manar d’antisémitisme, mais ne sont parvenus à en convaincre la justice pénale. En définitive, ils ont obtenu gain de cause par une décision du Conseil d’Etat prise au nom de “l’ordre public”. Puis, ils ont fait déconnecter un à un tous les satellites de retransmission dans le monde entier. Il fallait que la voix de la Résistance soit muselée avant d’attaquer le Liban. Comme si cela ne suffisait pas, Israël a décidé de détruire les studios et les émetteurs d’Al-Manar dès le premier jour de la guerre. En sept raids aériens successifs, Tsahal a réduit en poudre le siège d’Al-Manar, mais ses émissions n’ont été interrompues que deux minutes.