François Bayrou, né en 1951, est député des Pyrénées-Atlantiques et président de l’UDF (centre droit). Après avoir recueilli 6,84% des voix en 2002, il est candidat pour la seconde fois à l’élection présidentielle et est la révélation de la campagne électorale avec des sondages qui le situent à plus de 20% des suffrages. Il espère être le troisième homme qui créera la surprise en se qualifiant pour le deuxième tour. Il a accepté de donner son premier entretien à la presse libanaise et arabe en exclusivité pour La Revue du Liban.
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Quelle est votre position sur le conflit au Proche-Orient, en particulier la question palestinienne qui n’est toujours pas réglée depuis plus d’un demi-siècle?
La France veut l’existence, la paix et la sécurité d’Israël. Nous ne pouvons oublier dans quelles conditions, après la folie nazie qui a conduit à l’holocauste, les juifs ont œuvré pour trouver une terre, un foyer et une patrie. Et pourtant, de ce même mouvement, nous n’ignorons rien des souffrances que la décision de créer un Etat d’Israël a fait naître. Nous savons bien qu’il y avait sur cette terre d’élection non pas seulement le désert - comme on dit quelquefois - mais des familles, des femmes et des enfants et des hommes faits et des vieillards que cette catastrophe a touchés eux aussi, bien qu’ils n’y eussent aucune part. Et que ceux-là aussi, peuple de Palestine, sont des victimes et ont bien le droit de dire “plus jamais”. Voilà pourquoi la France considère que l’équilibre nouveau à trouver entre l’Etat qu’ont formé les humiliés juifs d’hier et l’Etat que doivent former les humiliés palestiniens d’aujourd’hui, cet équilibre importe à l’ensemble de l’humanité. L’Europe a, également, un rôle essentiel à jouer: agir pour la paix, être un modèle de réconciliation. Tant que les nations européennes joueront la carte du chacun pour soi, notre division nous condamnera à l’impuissance. Les Européens envoient les troupes et l’argent, mais ce sont les Américains qui trop souvent décident! La France doit proposer d’utiliser la capacité diplomatique de chacun au sein d’une démarche réfléchie et travaillée en commun.
François Bayrou arrivant à Rennes à l’ouest de la France.
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François Bayrou et l’acteur français Vincent Lindon lors de leur arrivée
à un centre de formation des apprentis à Ploufragan.
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Mettre un terme à la tragédie du Proche-Orient
Le Sommet arabe de Riyad s’est réuni pour relancer le processus de paix au Proche-Orient en réactivant le plan de paix arabe proposé en 2002. Ce plan propose un échange des territoires arabes occupés contre la normalisation des relations avec Israël. Comment cette normalisation pourrait-elle se réaliser?
Ou bien on se fait la guerre, ou bien on choisit de vivre ensemble et de gérer ensemble les questions sensibles. C’est à ce prix qu’on mettra un terme à la tragédie du Proche-Orient. L’Europe peut être un modèle pour le Proche-Orient. Pour moi qui aime Israël, qui aime le Liban, qui aime la Palestine, le chemin ouvert jadis par Schuman et Monnet est le seul disponible: l’édification d’une communauté où chacun garderait sa souveraineté. Passer directement de la guerre à la maison commune, dans laquelle chacun a son espace, dans laquelle, épuisés de se faire la guerre pour des choses tellement sensibles qu’il n’y a pas de fin à cette guerre, on décide que ces choses sensibles, on les gérera ensemble: l’eau, les réfugiés, les Lieux Saints de Jérusalem. Nous Européens, nous avons géré comme cela le charbon et l’acier, après s’être fait cent ans de guerre pour le charbon et l’acier!
Continuerez-vous la politique arabe de la France, affirmée par le général de Gaulle, ou vous en démarquerez-vous?
Je resterai fidèle à la volonté d’équilibre marquée par la France dans les relations internationales et à l’attachement au droit international.
Bayrou saluant un apprenti du centre au cours de sa campagne présidentielle en Bretagne.
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Notre collaboratrice Zeina el-Tibi et M. François Bayrou.
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Le lien entre la France et le Liban
Comment appréciez-vous le lien entre le Liban et la France?
Tout d’abord, pour ce qui concerne le Liban, je dois vous dire que j’ai un attachement tout particulier et un lien très personnel avec le Liban et ceci pour toute sorte de raisons y compris familiale, puisque l’une de mes filles est mariée à un Français d’origine libanaise. J’ai déjà eu l’occasion de visiter le Liban à plusieurs reprises, c’est un pays que je connais bien et que j’aime.
La France a un lien indissoluble avec le Liban; un lien impossible à oublier, impossible à éluder. Sans la France, le Liban n’existerait pas. C’est la France qui a pris la responsabilité historique de donner une chance à l’indépendance libanaise. C’est la France qui, plus d’un siècle auparavant, avait protégé le Mont-Liban pour en faire une province autonome de l’empire ottoman. Et c’est la France qui a servi de garant à cette idée historique de faire une communauté nationale d’un peuple divisé entre tant de communautés, liées par un contrat complexe. Cette fidélité a été lourde de conséquences pour notre pays. Dois-je le rappeler, la France a vu son ambassadeur, Louis Delamarre, assassiné le 4 septembre 1981, parce qu’elle voulait qu’on sorte de la guerre civile. Dois-je le rappeler, la France, le 23 octobre 1983, a payé le lourd tri-but de 58 hommes dans l’attentat du Drakkar? Il y a encore bien d’autres raisons à ce lien indissoluble de la France avec le Liban, pour qui la langue française est une seconde patrie. C’est pourquoi pour la France, la guerre de l’été 2006 a été d’emblée vécue comme une épreuve. J’ai pour l’essentiel apprécié l’équilibre de la ligne fixée par le président de la République et j’ai soutenu cette ligne dès les premiers jours où elle s’est exprimée.
Face à la crise que traverse le Liban, quelle doit être la politique de la France?
Aujourd’hui, des interventions extérieures continuent à venir déstabiliser le pays. Il faut une pleine application des résolutions des Nations unies obli-geant au désarmement effectif des milices et à l’exercice de l’autorité, sur le terrain, de l’armée libanaise, comme seule autorité légitime au Liban en matière de sécurité. Ce serait un risque immense pour le Liban, pour Israël, pour la paix, qu’une faction qui vise ouvertement la destruction d’Israël, s’arroge la domination sur une région d’un pays souverain. On voit bien la déstabilisation de la région et du Liban tout entier que cela supposerait. Le réarmement des milices, ce serait l’échec assuré pour la politique nécessaire de paix et de restauration de la souveraineté d’un Liban indépendant. C’est cette indépendance que nous devons soutenir, ainsi que la paix civile qui seule peut garantir l’avenir du Liban. Aujourd’hui, la situation du Liban est fragile. Désormais, le problème libanais ne se limite plus aux problèmes internes, mais il est le maillon d’une chaîne détonante et dangereuse qui va du conflit israélo-palestinien en passant par le Liban, la Syrie et l’Iran. C’est probablement aujourd’hui la région la plus fracturée dans le monde. Le Liban est une question à laquelle la France est très sensible. Je suis décidé à continuer le rôle que la France a toujours joué vis-à-vis du Liban, à savoir être son défenseur. Si je suis élu président de la République, la France mettra tous les efforts pour stabiliser la situation. Par ailleurs, il faut accentuer les efforts sur la démarche consistant à reconstruire le Liban et à inciter la communauté internationale à aider ce pays.
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Le peuple irakien a besoin d’une perspective politique
L’occupation de l’Irak a conduit ce pays au chaos. Quelle est votre analyse de la situation?
Je me suis opposé à la guerre en Irak, car ce n’est pas une guerre juste, parce qu’elle a été décidée contre la communauté internationale et contre l’ONU. La guerre en Irak a été l’une des plus graves erreurs historiques commises durant cette décennie, Les Etats-Unis ont pris une respon-sabilité terrible: quand on demandera aux Iraniens de ne pas se doter de la bombe au nom de la communauté internationale, il leur sera facile de nous répondre qu’il est facile d’invoquer l’ONU quand ça nous arrange et de l’oublier en Irak. J’ai approuvé la position définie par le président Chirac et défendue par Dominique de Villepin. La France n’a pas été arrogante, elle a été fidèle à elle-même et l’accuser d’arrogance - comme cela a été fait - a quelque chose de blessant pour la France.
Les faits ont donné raison à la France car nous voyons bien que les Etats-Unis sont aujourd’hui dans une impasse, l’unité de l’Irak est menacée et toute la région est gravement déstabilisée. L’intervention militaire en Irak n’a pas débouché sur une perspective politique. C’est de cette perspective politique que le peuple irakien a aujourd’hui besoin et il a aussi besoin d’en être l’acteur. C’est pourquoi, il faut assurer la pérennité de l’Etat en Irak, éviter son effondrement. C’est ce double défi que les nations solidaires du peuple d’Irak doivent aujourd’hui l’aider à relever: sécurisation et reconstruction.
L’une des conséquences de la destruction de l’Irak a été la montée en puissance de l’Iran. Que doit-on faire pour ce qui concerne la menace de prolifération nucléaire?
Les gouvernants iraniens actuels sont engagés dans une double obsession mortifère: l’appel sans ambiguïté à la destruction d’Israël et la décision d’acquérir la puissance nucléaire. L’Iran pose aux démocraties une question extrêmement grave. Les démocraties ne peuvent accepter la prolifération nucléaire. Le peuple iranien ne peut entendre cette détermination que si nous l’exprimons sans ambiguïté. Face à l’Iran, la France ne peut avoir qu’une ligne: la rigueur et l’intransigeance dans le respect du droit international. Il y a un traité de non prolifération nucléaire. Ce traité interdit aux nations qui l’ont signé - tous les pays sauf trois - d’aller vers l’arme nucléaire, mais il leur garantit en échange l’accès au nucléaire civil. Si ce traité n’est pas respecté, les démocraties doivent so-lidairement décider de sanctions. Il y a une leçon que nous devrions avoir apprise dans le plus noir de l’Histoire, c’est la leçon de Munich. Quand les mots sont des menaces, il faut les prendre au sérieux, surtout quand les mots sont servis par la force des armes.
Le modèle américain n’est pas le mien
Toutes les crises du Proche-Orient se sont multipliées du fait de la guerre des Etats-Unis en Irak. Le monde peut-il se satisfaire de l’unilatéralisme américain?
J’aime le peuple américain, mais ce n’est pas mon modèle. Je ne suis pas fasciné par le modèle américain, ni par le président des Etats-Unis. Je dirais même que la politique de Bush, c’est un contre-modèle. Il y a un modèle américain, mais je suis pour un modèle français, européen, qui vaut largement et plus, ce modèle américain. Ma ligne, c’est l’indépendance. Le pouvoir d’une seule super-puissance crée un monde plus dangereux. Je veux que le continent européen puisse contrebalancer le pouvoir des Etats-Unis. Et pour cela, il faut être aussi fort qu’eux. Cette volonté ne s’explique pas par un quelconque antiaméricanisme, mais par la croyance, appliquée à tous les domaines, qu’être seul à gouverner conduit systématiquement à l’erreur. Vouloir contreba-lancer le pouvoir des Etats-Unis, c’est également s’appliquer à sauvegarder la multiplicité des langues, des cultures et des valeurs.
La défense de cette diversité et le dialogue des cultures ne sont-ils pas les objectifs prioritaires que doit se fixer l’Organisation internationale de la francophonie?
La francophonie répond au besoin mondial de dialogue interculturel et ses valeurs sont celles que réclame la mondialisation humaniste et que la France défend au niveau international. La francophonie est, effectivement, une grande aire linguistique, organisée, vouée au nécessaire dialogue des cultures et à la promotion des valeurs de liberté, de solidarité, de diversité et d’échanges entre les cultures. Pour la francophonie, le temps n’est plus celui de la défensive, le temps est désormais venu de l’offensive. Année après année, l’utilité de la francophonie s’est affirmée. La francophonie n’a cessé de progresser de Sommet en Sommet francophones. Sur les pas du président Senghor s’est construite, graduellement, sans rien brusquer, une Communauté originale d’Etats et de gouvernements qui adopte des positions communes à caractère politique sur la scène internationale et mène une coopération pour la paix, la diversité culturelle et le développement. Il faut la placer au rang des priorités de la politique étrangère de la France. Elle répond au besoin mondial de dialogue interculturel et ses valeurs sont celles que réclame la mondialisation humaniste et que la France défend au niveau international. Par ailleurs, l’engagement européen de la France n’est pas contradictoire avec son engagement francophone. Il faut que la France marche sur ses “deux jambes”. Pour ce faire, il faut inscrire la construction de la Communauté francophone dans la Constitution française comme c’est déjà le cas pour la construction européenne.
La France doit continuer à faire signe au monde
La diversité culturelle c’est aussi la diversité des langues. La France n’est-elle pas négligente pour préserver la place du français dans le monde, alors que cette langue est le véhicule de certaines valeurs?
Je fais avec vous le constat d’une situation très préoccupante. Là, comme ailleurs, les équipes qui se partagent le pouvoir depuis plus de vingt ans n’ont proposé aucune politique d’avenir. Si je suis élu, une politique affichée et déterminée sera donc mise en œuvre pour promouvoir notre langue avec pour objectif le multilinguisme du local à l’international. Etre pour la diversité linguistique ce n’est pas être contre l’anglais, mais c’est être contre l’obsession, sous prétexte d’efficacité, de la langue unique qui conduit à la pensée unique.
Je m’engagerai donc fermement pour que la règle partout en Europe soit l’enseignement de deux langues étrangères. Ce n’est pas renoncer à l’ouverture au monde que d’affirmer qu’en France la langue de travail dans les entreprises et dans l’enseignement, c’est d’abord le français. Ce n’est pas faire preuve de passéisme que de vouloir le maintien de la diversité linguistique dans les instances européennes et à l’ONU et de faire en sorte que le français continue d’y être employé. Cela implique la volonté politique de garder à la langue française, aux côtés d’autres langues, le statut de grande langue internationale. Cela suppose aussi un engagement fort de la France en faveur de la francophonie mais une francophonie multiforme avec de multiples acteurs: l’Etat bien sûr mais aussi les collectivités locales avec la coopération décentralisée et les jumelages et les actions menées par la société civile et les ONG.
Quelle est votre vision du rôle de la France dans le monde?
Je veux que le “modèle français” soit à nouveau source de progrès, que la Nation reste forte sans s’affaiblir sous les coups de boutoir de la mondia-lisation, que la France continue de faire signe au monde et reste une référence. Cela suppose une ouverture aux autres qui ne sacrifie en rien nos valeurs ou notre vision humaniste de la mondialisation. Dans cette mondialisation, la France et les pays européens, modèle de société, en particulier pour ce qui concerne les grandes questions des droits de l’homme; de la défense des intérêts des faibles, des opprimés, des oubliés; de l’organisation saine de l’économie mondiale; du développement durable, du climat ou du dumping écologique. |