Passation de pouvoirs à l’Élysée
Sarkozy, un nouveau style pour gouverner la France
Par Evelyne MASSOUD

Tout a basculé en 35 minutes. A son arrivée à l’Elysée, salué par la Garde républicaine, le président élu Nicolas Sarkozy foule le tapis rouge et gravit les marches où le rejoint le président en exercice Jacques Chirac. Les deux hommes appartenant au même bord politique, qui cheminent ensemble depuis 32 ans, s’aimant ou se haïssant, se donnent une vigoureuse poignée de main. Ils vont se réunir au bureau présidentiel doré pour l’entretien à huis-clos traditionnel de passation de pouvoirs, accompagné de la transmission des codes nucléaires. 35 minutes plus tard, la République a changé de main. Les rôles sont inversés. C’est Sarkozy qui raccompagne Chirac jusqu’à la voiture l’attendant dans la cour d’honneur et qui est salué par les vivats et applaudissements des personnels de l’Elysée auprès desquels le couple Chirac est resté très populaire pendant douze ans. Nouvelle poignée de main chaleureuse. Sarkozy applaudit son prédécesseur pendant que la Garde républicaine salue ce départ. Il rejoint la salle des fêtes où l’attendent 400 invités. Avec lui, une nouvelle génération entre à l’Elysée pour y initier une ère de changement.

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Chirac-Sarkozy: deux présidents, deux conceptions du pouvoir...

La famille recomposée qui s’y installe y fait déjà souffler un air de jeunesse. L’arrivée très remarquée de Cécilia en robe Prada ivoire accompagnée des deux fils de Sarkozy Pierre et Jean, têtes blondes, cheveux longs, nés d’un précédent mariage, ses deux filles Jeanne-Marie et Judith nées de son mariage avec Jacques Martin et Louis, 10 ans, né de son mariage avec Sarkozy et qu’elle tient par la main, fait sensation. Dans la salle des fêtes, les invités n’auront d’yeux que pour eux et, surtout, pour le petit dernier qui bouscule le protocole et vient examiner de près le collier de grand maître de l’Ordre national de la Légion d’honneur qui sera remis tout à l’heure à son père.
Sarkozy viendra les embrasser tous à l’issue du discours qu’il aura prononcé après que Jean-Louis Debré l’eut officiellement proclamé 23ème président de la République française et 6ème président de la Vème République (“à partir de ce jour, vous incarnez la France et symbolisez la République”), alors que 21 coups de canons étaient tirés à blanc de la place des Invalides. Il aura un geste d’affection pour tous et déposera un baiser sur les lèvres de son épouse très glamour qui aurait pour certains des airs de ressemblance avec Jackie Kennedy.

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Motards et cavaliers de la Garde présidentielle
accompagnent Sarkozy à l’Arc de Triomphe.

La journée la plus longue
C’est “Asturia”, un morceau tiré de l’œuvre du grand compositeur espagnol Isaac Albéniz arrière grand-père de Cécilia et exécuté par les musiciens de la Garde républicaine qui a accueilli Sarkozy lorsqu’il est entré dans la salle des fêtes. Là, il a prononcé un discours-programme rappelant ses engagements envers les Français le soir de son élection au second tour, le 6 mai dernier. Après avoir eu une pensée à ses prédécesseurs, Sarkozy s’adresse aux Français: “En cet instant solennel, ma pensée va au grand peuple de France qui a trouvé en lui la force de transformer le monde”. Il réitère son exigence de “rassemblement” et de “changement”, celle de “respecter la parole donnée”, de “tenir ses engagements”, le “besoin de trouver des repères”, “l’exigence de tolérance et d’ouverture” de sécurité, de protection, d’ordre et d’autorité. “Il nous faut inventer de nouvelles solutions”, a-t-il soutenu dans “une République fondée sur les droits réels et une démocratie irréprochable”, répétant que “la défense des droits de l’Homme et la lutte contre les changements climatiques” seraient sa priorité. “Au service de la France, il n’y a pas de camp. Il n’y a que les bonnes volontés de ceux qui aiment leur pays. Il n’y a que les compétences, les idées et les convictions de ceux qui sont animés par la passion de l’intérêt général”.
La veille, dans un discours d’adieux suivi par 19 millions de téléspectateurs, Jacques Chirac s’était adressé à ses compatriotes, concluant 40 ans de vie politique: “Nous sommes les héritiers d’une très grande nation, une nation admirée, respectée et qui compte en Europe et dans le monde. (…) Je veux vous dire la force du lien qui, du plus profond de mon cœur m’unit à chacune et à chacun d’entre vous.”.

photo Le président Sarkozy entouré de ses invités à la salle des fêtes.

photo Baiser à Cécilia en présence des enfants de la famille recomposée.

Annonçant la création de sa propre fondation, Chirac a promis: “Dès demain, je poursuivrai mon engagement dans ces combats pour le dialogue des cultures et pour le développement durable. Je le ferai en apportant mon expérience et ma volonté d’agir pour faire avancer des projets concrets en France et dans le monde”. Il a réitéré sa confiance en Sarkozy: “Nicolas Sarkozy aura à cœur de conduire notre pays plus avant sur les chemins de l’avenir et tous mes vœux l’accompagnent dans cette mission”.
Sarkozy a déjà initié un nouveau style dans ses rapports avec la classe politique et ses compatriotes. Décontracté, chaleureux, il salue un à un les invités à la cérémonie d’investiture, leur donnant parfois l’accolade, ayant un mot pour chacun. Après un passage en revue de la Garde républicaine, le nouveau président va remonter les Champs-Elysées dans un cabriolet décapotable entouré de 28 motards et suivi des 148 cavaliers de la Garde républicaine. Il se lèvera pour saluer la foule et ira raviver la flamme sur le tombeau du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe en y déposant une gerbe. Puis, dans sa descente des Champs-Elysées, il innove en déposant des gerbes au pied des statues de Clémenceau et de Charles de Gaulle, admirant celui-ci quand il était enfant et que son grand-père maternel venu de Salonique portait sur ses épaules pour qu’il puisse l’apercevoir. A chaque arrêt, Sarkozy va faire une entorse au protocole, en allant saluer la foule, en distribuant sourires et poignées de main.
Dans l’après-midi, il se rendra au Bois de Boulogne pour participer à une émouvante cérémonie organisée en hommage à 35 jeunes résistants fusillés le 16 août 1944. Il ne manquera pas d’écraser une larme à la lecture par une collégienne de la lettre de l’un d’entre eux et qu’on lira, comme il en a décidé, chaque année dans les lycées.
De là, Sarkozy regagne Orly pour aller rencontrer à Berlin la chancelière Angela Merkel, en vue de renforcer la relation franco-allemande et regagner l’Elysée après un dîner de travail.

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Poignée de main Sarkozy-Fillon après la désignation de ce dernier à Matignon

François Fillon, Premier ministre
Depuis le 6 mai, après des vacances dorées au large de l’île de Malte, Sarkozy avait mis les bouchées doubles pour former ses équipes de travail, approché des personnalités de gauche, pressenties pour faire partie du prochain gouvernement et rencontré les syndicats. La nomination de François Fillon, ex-ministre de l’Education et sénateur de la Sarthe, son conseiller politique l’ayant accompagné depuis deux ans ne faisait aucun doute. En effet, celui-ci devait se rendre jeudi matin à Matignon après sa désignation pour la passation de pouvoirs avec Dominique de Villepin.
Dans l’équipe resserrée de 15 membres, auxquels se joindront 10 à 15 secrétaires d’Etat après les législatives, des nominations semblent acquises, notamment celle d’Alain Juppé, numéro deux du gouvernement qui prendra un super-ministère de l’Environnement, du Développement durable, de l’Energie et des Transports et celle du socialiste Bernard Kouchner, “le French doctor”, fondateur de Médecins sans frontières, qui n’a eu que des seconds rôles au PS et qui se sentira bien dans sa peau au Quai d’Orsay. Respecter la formule paritaire aura été ardu, mais Michèle Alliot-Marie devra faire partie du gouvernement comme Rachida Dati, porte-parole de campagne et Roselyne Bachelot. Le nouveau gouvernement fera de nombreux déçus parmi les Sarkozystes de la première heure. Peut-être trouveront-ils leur place parmi les prochains secrétaires d’Etat!
Le 16 mai au soir, des nominations étaient déjà rendues publiques. Claude Guéant, ancien directeur de campagne de Sarkozy, a été désigné secrétaire général de l’Elysée avec pour adjoint François Pérol. Jean-David Levitte, ex-ambassadeur de France aux Etats-Unis, a été nommé “conseiller diplomatique et sherpa” de Sarkozy et serait destiné au Conseil national de sécurité que Sarkozy entend créer sur le modèle américain.. Deux journalistes Catherine Pégard et Georges-Marc Benamou seront des conseillers à la présidence. L’Elysée aura un porte-parole, David Martinon, 36 ans.
Les policiers qui assuraient la sécurité de Sarkozy le suivront à l’Elysée. Tout bouge. Tout change.

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4106 Du 19 Au 26 Mai 2007
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