C’est dimanche 19 août, à 19 heures, au palais municipal de Ghazir que, menée par Charbel Matta, aura lieu la cérémonie d’inauguration du monument dédié au grand penseur français, en présence de l’ambassadeur de France et du maire de Tréguier du Comité Renan.
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Quand M. Toularastel, maire de Tréguier a pris la décision de jumeler son village avec celui de Ghazir, il ne savait pas que la vie de Mme Marie allait basculer dans le vedettariat. Et pour cause, depuis quelques semaines non seulement la municipalité de Ghazir, mais la maison qui lui fait face et où habite la brave femme avec ses cinq enfants, fait l’objet d’un remue-ménage sans pareil. Peintres, maçons et entrepreneurs astiquent et reluisent la place qui jouxte son humble demeure, ainsi que ses alentours, quand ce ne sont pas les photographes qui fixent la maison où habita celui qui est au centre de tout ce branle-bas.
Cet hommage rendu le 19 août, au grand écrivain et philosophe qui a défrayé la chronique au XIXème siècle est dû, pas tellement au nombre d’années ou de mois que Renan a passés à Ghazir mais, surtout, au livre que ce village lui a inspiré, le plus important de la bibliographie de l’auteur. En effet, La vie de Jésus, l’œuvre capitale de Renan, a soulevé d’extraordinaires polémiques au sein de l’Eglise catholique en France et à l’étranger. Le pape l’a désigné comme “le blasphémateur européen”. Des ma-nifestations hostiles se produisirent au Collège de France où il enseignait ayant entraîné à la suspension de son cours. Il a été excommunié et ce n’est qu’après sa mort (en 1892) que Vatican II l’a réhabilité.

L’ancienne demeure de Renan à Ghazir.
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PRIS DE DOUTE, IL PERD LA FOI
Cet ouvrage, écrit en collaboration avec sa sœur Henriette qui jouait, aussi, le rôle de conseillère, d’amie et de mère (elle avait 11 ans de plus que lui), a été grandement inspiré par les montagnes libanaises qu’il a longuement admirées et qu’attestent la correspondance retrouvée dans ses archives, la disponibilité intellectuelle que lui procurait la fraîcheur du village, autant que la présence active des Jésuites et de leur séminaire.
Né en Bretagne, dans la ville de Tréguier, en 1823, Ernest Renan, a eu la vocation du sacerdoce et a fréquenté le petit séminaire pendant deux ans, avant de poursuivre à Paris, à St Supplice, sa formation. Ici, un de ses professeurs prêtres lui a enseigné l’hébreu ce qui lui a donné accès direct à la Bible. Mais le sort a voulu qu’en découvrant la Bible, il soit pris de doute et perde la foi. Il abandonne, alors, la vocation religieuse pour la philosophie et les langues orientales: le latin, le grec, le chaldéen, le syriaque, l’arabe.
Il est habile à déchiffrer les civilisations an-ciennes. Et quand il manifeste son souhait, dans un article paru dans La Revue des deux mondes de venir en Orient, Napoléon III l’envoie en 1860 dans une “mission en Phénicie” (qui a fait l’objet d’un livre réédité par Terre du Liban). Ainsi, il a séjourné plusieurs mois d’affilée à Amchit pour observer de plus près la vieille ville de Byblos, au cœur du pays d’Adonis. Il a dirigé les fouilles archéologiques et a appris que les Jésuites avaient un couvent à Ghazir qui abritait des prêtres italiens et français, grands érudits, dont les pères Bourquenoud et De Prunières, qui s’intéressaient fortement à l’archéologie.
Il s’est installé, alors, l’espace de deux mois, à Ghazir qui se rappelle aujourd’hui et orga-nise autour de son nom, une reconnaissance dans l’esprit et le souvenir du grand écrivain.
Ainsi, la municipalité, présidée par M. Ibrahim Haddad, érige un buste en bronze du grand penseur, sculpté par Bassam Kyrillos et lance à cette occasion un jumelage entre Ghazir et Tréguier, la ville natale de Renan. De ce partenariat, Ghazir profitera d’échanges culturels et sociaux, notamment de la création d’un conseil municipal de jeunes représentants de toutes les écoles de Ghazir (Les fransiscaines, les sœurs antonines et les religieuses des Saints-Cœurs.), d’animations et d’événements culturels, d’expositions de peintures entre la Bretagne et Ghazir et… d’un musée Ernest Renan prévu en place et lieu de la maison justement de Mme Marie.
Le manuscrit de Ghazir comme est dénommé La vie de Jésus, écrit entre le 22 juillet et le 2 septembre 1860, est une démystification du christianisme qui pose des questions sur les évangiles, sur la double nature (humaine et divine) du Christ et remet en doute les miracles, etc. Renan, qui avait un esprit et un raisonnement très scientifiques, a osé toucher à l’Eglise, ce qui en 1863, date de la publication du livre, était scandaleux. Suit la dédicace du livre qu’il a faite à sa sœur Henriette.
“A l’âme pure de ma sœur Henriette morte à Byblos, le 24 septembre 1861
Te souviens-tu, du sein de Dieu où tu reposes, de ces longues journées de Ghazir, où, seul avec toi, j’écrivais ces pages inspirées par les lieux que nous avions visités ensemble? Silencieuse à côté de moi, tu relisais chaque feuille et la recopiais sitôt écrite, pendant que la mer, les villages, les ravins, les montagnes se déroulaient à nos pieds. Quand l’accablante lumière avait fait place à l’innombrable armée des étoiles, tes questions fines et délicates, tes doutes discrets, me ramenaient à l’objet sublime de nos communes pensées. Tu me dis un jour que ce livre-ci tu l’aimerais, d’abord, parce qu’il avait été fait avec toi et, aussi, parce qu’il te plaisait. Si parfois tu craignais pour lui les étroits jugements de l’homme frivole, toujours tu fus persuadée que les âmes vraiment religieuses finiraient par s’y plaire. Au milieu de ces douces méditations, la mort nous frappa tous les deux de son aile; le sommeil de la fièvre nous prit à la même heure; je me réveillai seul!... Tu dors maintenant dans la terre d’Adonis, près de la sainte Byblos et des eaux sacrées où les femmes des mystères antiques venaient mêler leurs larmes. Révèle-moi, ô bon génie, à moi que tu aimais, ces vérités qui dominent la mort, empêchent de la craindre et la font presque aimer”. |
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