Tripoli scelle un accord de réconciliation

Moins de vingt-quatre heures après la signature de la réconciliation à Tripoli, un incident a opposé Abdel-Hadi Hassoun, partisan des “Afwaj Tarablos” à “Oussama Chaaban, frère du secrétaire général du “Tawhid” cheikh Bilal Chaaban dans la localité d’Abi Samra. Rapidement circonvenu, l’incident prouve clairement que la situation dans la capitale du Nord demeurera fragile tant que les causes des tensions n’ont pas été traitées sérieusement. Néanmoins et sauf imprévu, les Tripolitains peuvent se permettre de se détendre et de souffler. Quatre-vingt jours après le déclenchement d’affrontements intercommunautaires sanglants entre des éléments armés sunnites et alaouites de Bab el-Tebbané et Jabal Mohsen (22 juin, date du premier clash), marqués par un attentat contre l’Armée (13 août), les armes sont mises de côté et les protagonistes se serrent la main. La vie devra donc en principe reprendre son cours normal et la stabilité regagner la capitale du Nord après des mois de tensions exacerbées, de combats et d’insécurité. Et ce, grâce à la signature, au domicile de cheikh Malek Chaar, mufti de la ville et du Nord, d’une charte de réconciliation en présence d’un grand nombre de responsables représentant les parties en conflit.
Chaudement saluée par les différentes composantes libanaises, la charte de réconciliation dont le plan comporte six points, demeure cependant tributaire de son respect et du sérieux de son application sur le terrain. En effet, le document n’aurait pas de sens s’il ne dépassait pas le cadre de l’entente entre les leaders politiques pour atteindre les tranches populaires où un véritable effort d’apaisement doit être fourni, non seulement à Tripoli mais aussi dans la Békaa et à Beyrouth où des clashs sporadiques entretiennent toujours la tension.

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La “charte de Tripoli” a été scellée au cours
d’une réunion en la résidence du mufti Chaar.

“Tripoli doit être débarrassée de toute arme car les armes ne protègent personne. L’Etat est la seule référence, le seul garant, le seul protecteur. Tripoli doit être une ville sans armes et dénuée de slogans”. C’est ce qu’a affirmé le Premier ministre Fouad Sanioura, soulignant que “le document de réconciliation conclu et signé par tous les fils de Tripoli, consiste en un accord qui engage toutes les parties et qui doit être respecté sachant que l’Etat jouera entièrement son rôle pour assurer la sécurité”. Le Premier ministre s’est exprimé lors de la réunion regroupant toutes les parties en conflit, dont Saad Hariri, chef du Courant du futur, l’ancien Premier ministre Omar Karamé, Abdelilah Mikati représentant l’ancien Premier ministre, Najib Mikati, le ministre Mohamed Safadi, les députés Ahmed Fatfat, Samir el-Jisr, Kassem Abel-Aziz, Mohamed Kabbarah, Moustapha Allouch, Badr Wannous, le chef du Parti arabe démocratique l’ancien député Ali Eid et son fils Rifaat, les anciens députés Omar Miskaoui et Ahmad Habbous, les leaders salafistes et bon nombre de responsables militaires dont le général Achraf Rifi, directeur général des FSI.
Rappelant le prestigieux passé de la ville, notamment son cachet arabe et musulman, M. Sanioura a estimé que “Tripoli est une seule ville, une ville unifiée où il n’y a pas de différence entre Libanais et Libanais, entre musulmans et musulmans ou entre musulmans et chrétiens. Nous sommes tous des Libanais.Nous avons les mêmes droits et les mêmes devoirs à l’ombre d’un seul Etat, l’Etat de droit, l’Etat juste qui traite les citoyens à Tripoli et dans tout le Liban de la même façon” a-t-il martelé, avant d’ajouter que Tripoli ne peut pas être “une épine dans ce pays”, car personne ne peut évoquer l’indépendance du Liban sans revenir sur le passé de la ville.
Les circonstances que traversent la région et le Liban nous incitent à réfléchir à notre pays ainsi qu’à notre situation, à éviter la sédition ou à être manipulés comme des outils dans un conflit qui ne mènera qu’à la destruction de notre propre pays. Le différend politique et la divergence dans les points de vue ne devraient en aucun cas se transformer en des affrontements entre les fils du même pays, du même camp, de la même ville et du même quartier. La charte que nous sommes sur le point de signer aujourd’hui ne signifie pas que les différences politiques vont disparaître ou que les divers points de vue vont se volatiliser. Ce document veut consacrer un certain nombre de principes partagés par les habitants de Tripoli et compris aujourd’hui dans cette charte et autour de laquelle nous nous sommes réunis”, a-t-il expliqué.

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Cordiale poignée de main entre M. Saad Hariri, Ali Eid et son fils Rifaat, représentant les alaouites.

Rappelons que la charte de Tripoli, énoncée par le Premier ministre, affirme tout d’abord l’accord de toutes les parties à doter l’Armée de toutes les compétences nécessaires pour faire régner le calme, la sécurité et la paix civile, de manière définitive dans les régions en proie à des tensions ainsi que le rejet de tout recours aux armes et à la violence. Elle appelle, par conséquent, au retrait des hommes armés de la rue. L’accord prévoit, ensuite, l’indemnisation des ayants-droit. Le Haut-comité de secours se chargera en outre de fournir des meubles à ceux dont les maisons ont été dévastées et de verser à ceux qui ont perdu leur logement l’équivalent d’un loyer en espèces, sachant que la proposition koweïtienne pour la reconstruction de la rue de Syrie a été validée. Les indemnités seront versées en fonction d’un planning fixé en accord avec le commandement de l’Armée.
Le document prévoit également qu’en cas de conflit, tous les contacts et efforts d’apaisement se feront par le biais de rencontres qui se dérouleront, sous l’égide du mufti Malek Chaar.
Interrogé quelques instants après la signature de la réconciliation, ce dernier s’est déclaré “très optimiste”. “L’accord sera un succès car tout le monde s’y est impliqué”, a-t-il précisé. Qualifiant le document “d’historique” le mufti Malek Chaar a estimé que le conflit à Tripoli “n’est ni sectaire ni religieux. C’est un conflit politique et c’est ce qui a aidé à faire réussir cette initiative et à permettre cet accord”. Exhortant les responsables à entamer sur le champ le processus de reconstruction et de développement de la ville et de payer les indemnisations sans tarder, le dignitaire religieux a réaffirmé que “Tripoli est déterminée à enterrer la sédition, à réunir ses fils, à dépasser la crise et à œuvrer pour de meilleurs lendemains, en coopération avec toutes les parties”.
De son côté, le député Saad Hariri et peu avant la signature de la charte scellant la réconciliation, a prononcé un discours dans lequel il a tenu d’abord à remercier “tous ceux qui ont aidé à la signature de ce document”, notamment l’Arabie Saoudite, l’Egypte et les pays du Golfe. Le député - qui s’est entretenu au téléphone en cours de journée avec respectivement le président de la République, le président de la Chambre, le patriarche maronite ainsi que le vice-président du Conseil supérieur chiite - a, en outre, assuré qu’il œuvrerait rapidement avec le Premier ministre afin que les indemnisations soient rapidement versées aux victimes “pour que tout le monde passe une bonne fête”. Le chef du Courant du futur qui a promis de poursuivre la ligne de Rafik Hariri, a, par ailleurs, indiqué que tous les notables de Tripoli devaient s’atteler au travail pour concrétiser les projets de développement dont une première partie se réalisera en coopération avec l’Etat alors qu’une deuxième sera concrétisée grâce à la contribution des pays arabes amis sachant que dans ce cadre, une liste des priorités sera dressée. Notons que M. Saad Hariri devait compléter sa tournée nordique par une tournée de trois jours dans la Békaa.
Il convient, aussi, de souligner qu’un iftar offert par M. Omar Karamé était prévu en soirée en l’honneur du Premier ministre et en présence de cheikh Malek Chaar, mufti de Tripoli et du Nord. Au cours d’une conférence de presse conjointe, M. Sanioura a assuré qu’il souhaitait que “la réconciliation ne se limite pas uniquement à Tripoli mais soit un exemple pour l’ensemble des régions libanaises”. M. Karamé a quant à lui, souligné l’importance du développement local, car dit-il “il n’y a pas de stabilité sociale sans développement”. M. Karamé, rappelons-le, avait en cours de journée tenu en sa demeure une réunion élargie regroupant les différents pôles de l’opposition.
Favorablement accueillie par les uns et les autres, la réconciliation de Tripoli a suscité une série de réactions. L’ancien Premier ministre, Najib Mikati a ainsi estimé que “la consolidation de la réconciliation suppose de traiter tous les aspects de la crise et d’œuvrer à se débarrasser de ses causes.” M. Mikati qui a salué cette initiative de nature à mettre fin aux confrontations sanglantes, a souligné l’importance de la “modération”. “La violence, dit-il, n’engendre que la violence”.
Sayyed Mohamed Hussein Fadlallah a, pour sa part, “salué toute démarche visant à rétablir les relations et à régler les problèmes compliqués entre les composantes libanaises. L’ensemble des forces politiques doivent assumer leurs responsabilités”, a-t-il indiqué.
Estimant que le document de réconciliation n’assure qu’une “trêve”, le député Misbah Ahdab a assuré qu’il appuyait “tous les termes de l’accord”, soulignant toutefois qu’il aurait souhaité que la charte comprenne “des points fondamentaux concernant la sécurité et la paix civile”.
Le député Moustapha Allouche a, lui, indiqué que “la réconciliation à Tripoli doit être définitive” soulignant que la priorité devra être “de se rendre à la table de dialogue sous l’égide du président de la République”.

Le Hezbollah favorable à une réconciliation générale

“Nous sommes prêts à tourner toutes les pages du passé et à guérir toutes les blessures. Nous sommes prêts à tout dialogue car le dialogue ne nous effraie pas”. C’est ce qu’a affirmé le secrétaire général du Hezbollah à la veille de la réconciliation de Tripoli. Sayyed Hassan Nasrallah qui s’est prononcé à l’occasion d’un iftar, s’est déclaré favorable à une réconciliation générale.

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C’est ainsi qu’il appelé les autres parties à s’asseoir avec le Hezbollah sans conditions préalables. Evoquant longuement le dossier délicat de la discorde entre sunnites et chiites et des incidents du 7 mai ainsi que le document d’entente signé avec le CPL, le chef du mouvement chiite a rappelé que le Hezbollah est un mouvement de résistance qui n’a jamais favorisé le confessionnalisme ni abordé les questions internes ou externes d’un point de vue confessionnel. Précisant qu’il ne peut lui-même se rendre à un lieu déterminé pour des raisons de sécurité, il a néanmoins appelé à une rencontre avec le Courant du Futur à d’autres niveaux de commandement.

Micheline Abi-Khalil
Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4175 Du 13 Au 20 Septembre 2008
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