Le pape Benoît XVI a accepté la démission, le 25 février, de S.Em. Mar Nasrallah Boutros Sfeir, patriarche d’Antioche et de tout l’Orient, qui a demandé de se démettre de ses charges patriarcales après vingt-cinq ans à la tête de l’Eglise maronite. Avec cet événement de taille, une page de l’histoire de la patrie est tournée. Une période qu’on ne peut pas dissocier d’un homme qui a marqué par ses positions le destin d’un pays.

Les portes de Bkerké s’ouvriront pour annoncer l’élection du nouveau patriarche.
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Seule l’histoire peut juger les réalisations du patriarche démissionnaire qui a expliqué les raisons de sa démission, disant qu’il est âgé de 90 ans et qu’il doit penser à son “repos éternel”. Toutefois, la lettre-message que le Souverain pontife lui a adressée pour l’informer qu’il a accepté sa démission louait sa personnalité, ses prises de position et ses réalisations sur les deux plans national et religieux.
La date de l’élection du nouveau patriarche a été fixée par le Conseil des prélats maronites au mercredi 9 mars. Et au temps des grandes mutations dont sont témoins la région arabe et le Liban, à l’ombre des défis auxquels sont confrontés les chrétiens d’Orient et aux rythmes de dissensions qui déchirent les maronites, on se pose la question: quel patriarche, pour quel Liban? Ne dit-on pas que “la gloire du Liban lui a été donnée”, en parlant du siège patriarcal qui résistait depuis le premier tiers du premier siècle après Jésus-Christ, guidait les fils de l’Eglise d’Antioche dans leur lutte pour survivre, dans un environnement qui n’acceptait pas toujours leur présence libre et indépendante?
Au fil des siècles, les maronites qui considéraient le Liban comme une “patrie en puissance”, ont signé avec leur sang le pacte de la liberté et sont parvenus, enfin, à faire de cette parcelle du monde une “vraie patrie”.
Cependant, les maronites savouraient rarement le goût de la résurrection, à cause de leurs clivages internes et leurs conflits sur le pouvoir, au lieu de s’unir sur base de concessions réciproques. En dépit de cet état des choses, le rôle de Bkerké devenait plus fort et chaque patriarche qui guidait “le petit troupeau” aux “pâturages fertiles”, avait un parcours qui le distingue. Ces patriarches maronites avaient cependant, des dénominateurs communs, à savoir: préserver la spécificité de la communauté maronite dont la présence est indissociable du parcours de saint Maron; affirmer l’appartenance orientale des maronites, sauvegarder l’indépendance de l’Eglise maronite malgré son affiliation au Saint-Siège et rester fidèles au legs de la liberté que les maronites ont conservé par leur sang et consacrer, enfin, l’identité de l’Eglise maronite.
L’histoire contemporaine du Liban a vu défiler des patriarches qui ont adopté des prises de position ayant contribué, d’une façon ou d’une autre, à changer le cours des événements, comme les patriarches Boulos Massaad, Elias Howayeck, Antoine Arida, Boulos Méouchy, Antonios Khoreiche et Mar Nasrallah Boutros Sfeir qui a été un des principaux parrains de l’accord de Taëf ayant mis fin à la guerre libanaise; a lancé le fameux appel après la libération du Liban-Sud, le 25 mai 2000, dans lequel il a demandé aux forces syriennes de se retirer du Liban et effectué des tournées aux Etats-Unis, en France et dans d’autres pays étrangers et arabes, pour plaider la cause du Liban. Sa démission allait de pair avec la clôture des célébrations du 1600ème anniversaire de la mort de saint Maron, couronnées par le lever du voile au Vatican de la statue du patron de l’Eglise maronite.
Après la publication de la lettre dans laquelle le pape accepte la démission de Mgr Sfeir, le conclave des prélats maronites doit se réunir pour élire un nouveau patriarche, sachant que celui-ci est formé du patriarche Mar Nasrallah Boutros Sfeir et de quarante prélats: honoraires, résidant au Liban et à l’étranger.
Notons que le rituel de l’élection du patriarche a évolué au fil du temps. Tantôt, c’était une élection directe du clergé, tantôt des archevêques avec la participation des notables comme aux XVIème et XVII ème siècles, jusqu’à ce que le Concile maronite qui s’est tenu au couvent de Notre-Dame de Louaizé en 1736, ait défini les règles de l’élection. Le texte de la loi a été publié dans l’ouvrage Le Concile régional de Mgr Youssef Najm, vicaire patriarcal, sachant que de nouveaux textes ont été ajoutés au droit juridique oriental en 1957.
Comment se déroule cette procédure? Après le décès du patriarche ou sa démission et l’approbation du pape, les prélats maronites se réunissent au siège patriarcal à Bkerké selon l’article 2 du Concile libanais et choisissent trois prêtres (deux secrétaires et un portier) et deux archevêques pour superviser l’élection du nouveau patriarche. Le soir, les portes de Bkerké se ferment et ne s’ouvrent que lorsque les cloches sonnent pour annoncer l’élection du patriarche. Le jour suivant, les archevêques se réunissent le matin en l’église du patriarcat et après la récitation des prières, le prélat le plus ancien (actuellement Mgr Chucrallah Harb), préside le processus du vote et le supervise avec les secrétaires et les archevêques déjà cités.
L’élection se fait en plusieurs étapes: deux fois le matin et deux autres après la prière du soir, afin que le prélat élu ait obtenu la majorité des deux tiers des prélats présents, sachant qu’à l’issue de chaque processus de vote, les feuilles sont brûlées dans un poêle en cuivre. Le conclave reste réuni jusqu’à l’élection du nouveau patriarche, dans une période ne devant pas dépasser les 15 jours. Faute de quoi, le Saint-Siège aura le droit d’intervenir, en nommant un successeur à l’ancien patriarche. A l’issue du vote, le président du conclave annonce les résultats, avant de s’adresser au patriarche élu en ces termes: “Le Saint-Esprit vous appelle à être patriarche d’Antioche et de tout l’Orient et d’être un père à nous tous”. Et celui-ci de répliquer: “Je suis consentant et obéissant”.
Notons, enfin, que le Vatican n’est jamais intervenu dans l’élection d’un patriarche maronite, sauf dans deux échéances: la première avec Semaan Awad Hasrouni (1742-1756) qui a refusé de devenir le chef de l’Eglise maronite, suite à son élection par le conclave qui a tenu ses assises au couvent de Aïn Warka; la deuxième était en 1955, quand le Vatican a nommé, à la surprise générale, Mgr Boulos Méouchy comme successeur du patriarche défunt Antoine Arida, sous prétexte que l’Eglise patriarcale maronite ne doit pas rester privée plus longtemps de la sollicitude de son pasteur vu les dangers auxquels elle est exposée, sachant que cette nomination a eu lieu avant la fin du délai légal déterminé pour élire un nouveau patriarche à la tête de l’Eglise maronite. |