Charles Saint-Prot, directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques à Paris, est un spécialiste du monde arabe et l’auteur de nombreux ouvrages de référence. Il vient de publier “La politique arabe de la France” dans la collection Etudes géopolitiques (www.etudes-geopolitiques.com).
Doit-on parler d’une politique arabe de la France ou de politique méditerranéenne?
La distinction mérite d’être soulignée. Les deux termes n’ont pas la même signification. Non seulement la “politique méditerranéenne” est une sorte de faux-fuyant visant à imaginer un vague processus collectif, au demeurant déséquilibré et peu ambitieux, mais encore elle est loin de recouvrir la réalité concrète et précise de la politique arabe de la France. A vrai dire, la politique méditerranéenne, qui est marquée par l’ambiguïté et l’imprécision, ne traduit pas l’ambition d’une diplomatie française originale et dynamique. En revanche, le terme même de politique arabe sous-entend une relation spéciale avec un peuple et exprime un intérêt particulier à l’égard du monde arabe et la volonté d’établir avec lui une coopération étroite. La France est la seule grande puissance qui a une politique arabe, c'est à dire qu’elle considère le monde arabe comme un partenaire important et privilégié.
Quelles sont les caractéristiques de la politique arabe de la France?
La politique arabe de la France présente une particularité qui suffit à démontrer son caractère exceptionnel: elle est l'une des plus vieilles cons-tantes historiques de la politique française. Le général de Gaulle rappelait que le monde arabe est une région pour laquelle la France a toujours ma-nifesté un intérêt particulier. C’est une politique millénaire et la présence de la France dans le monde arabe possède une indéniable épaisseur humaine, culturelle, politique, économique. La politique arabe de la France est l’expression d’une certaine idée du rôle de la France dans le monde et elle se base sur des principes et des objectifs stratégiques essentiels. Si cette politique privilégie d’abord le soutien aux droits légitimes des peuples arabes, elle se traduit également par la volonté de promouvoir des relations d’amitié et de coopération multiple avec tous les pays arabes. Il est incontestable que la politique arabe de la France part du postulat qu’il existe un ensemble arabe marqué par des liens étroits en matière culturelle, linguistique, sociale historique, géopolitique. Pour la France, le monde arabe constitue une réalité géopolitique qui doit pouvoir s’organiser au moins aussi bien qu’ont su le faire les nations européennes.
Quel rôle la France peut-elle jouer au Proche-Orient?
Depuis le général de Gaulle, la France est cons-ciente que l’absence de paix dans la région et la politique d’ingérence de certaines puissances étrangères constituent un risque majeur. Le rôle de la France consiste à maintenir les grands équilibres géopolitiques et à plaider pour une solution juste et durable des conflits, en particulier la question nationale palestinienne, afin de rendre la région plus stable et favoriser la coopération entre tous les peuples concernés. Cela doit conduire à soutenir l’initiative arabe de paix qui est d’ailleurs aujourd’hui le seul plan de paix sur la table et qui s’inscrit dans le strict respect du droit internatio-nal. Par ailleurs, la politique arabe de la France vise à la recherche de la stabilité et l’équilibre des forces, c'est-à-dire à souhaiter une plus grande unité et une meilleure coopération entre les pays arabes de façon à ce qu’ils constituent un ensemble plus cohérent qui serait un facteur de stabilité face à l’hégémonisme des Etats-Unis, à l’extrémisme des dirigeants israéliens et aux ingérences iraniennes. Cela conduit également à avoir une position équilibrée pour ce qui concerne le conflit israélo-arabe et faire en sorte qu’un processus de paix puisse se développer sous l’égide de la communauté internationale et non selon les impulsions intéressées et partisanes d’une superpuissance. Il est notable que les analyses de la France se sont souvent révélées exactes, c’est par exemple le cas pour ce qui concerne la guerre en Irak qui a ouvert la boîte de Pandore en provoquant le chaos dans ce pays et en perturbant toute la stabilité régionale. Il est donc important que la voix de la France continue à se faire entendre. La politique arabe de la France est un facteur d’équilibre au Proche-Orient, un atout pour construire enfin une paix juste et durable dans l’intérêt de tous les peuples de la région et de la sécurité de tous les Etats. En outre, la politique arabe de la France reste l’un des moteurs du rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée et, plus largement entre le Nord et le Sud.
Précisément, vous publiez une étude sur la politique arabe de la France avant les élections françaises. Est-ce que le résultat des élections pourrait avoir une incidence sur cette politique?
Il est indéniable que la fin de la présidence de Jacques Chirac suscite une certaine inquiétude car Jacques Chirac avait une politique très active et très positive au Proche-Orient. La remise en question de la politique arabe de la France ne serait qu’un prétexte pour cesser d'avoir une politique active au Proche-Orient et, finalement, pour un renoncement à une politique indépendante au pro-fit d’un réalignement atlantiste qui priverait la diplomatie française de toute originalité et, pour tout dire, constituerait une rupture avec la tradition française Mais je pense que le réalisme l’emporte toujours. Un pays n’a pas le choix entre plusieurs politiques étrangères. Il n’en existe qu’une qui soit conforme à ses intérêts fondamentaux. Une politique étrangère ne doit rien aux passions du moment, aux intrigues des groupes d’influence et aux préférences idéologiques. Certes, on peut infléchir des orientations en tenant compte des contingences conjoncturelles, mais il n’est pas possible de modifier arbitrairement et profondément une politique étrangère dont le cours reste dicté, d’une part, par l’Histoire, la géopolitique, l’économie, et, d’autre part, par le rôle qu’une nation s’assigne sur la scène internationale. Pour les raisons d’hier qui sont encore plus celles d’aujourd’hui. La politique arabe de la France qui ne fait que traduire des considérations propres aux intérêts vitaux de la France et la fidélité à des principes constants, est une ardente obligation qui devrait s’imposer à tout gouvernement.
Quelle est la place du Liban dans la politique française au Proche-Orient?
C’est un lieu commun de rappeler que les relations franco-libanaises sont exceptionnelles. Il existe une véritable histoire d’amour entre nos deux peuples. La France est la seule puissance qui a toujours refusé de tirer une croix sur le Liban. Son appui à l’indépendance, à la souveraineté et à l’unité nationale du Liban a été constant et elle doit être l’amie de tous les Libanais, sans exclusivité et sans préférence. Contrairement aux Etats-Unis, la France n’a jamais accepté que le pays du Cèdre soit la victime des tractations ou des marchandages régionaux. Le Liban ne peut être l’otage des Etats-Unis, d’Israël ou de l’Iran, il n’est pas une monnaie d’échange mais un pays précieux dont il faut préserver la spécificité. Le Liban est un pays plus grand que lui-même, il a une mission particulière à jouer comme médiateur entre les cultures et trait d’union entre les pays arabes et le monde européen. La politique arabe de la France a besoin d’un Liban prospère, uni et actif. |